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Coquelicot Mafille : “J’aime les espaces silencieux qu’on retrouve dans mon trait discontinu”

Le Vent tourne, peinture brodée sur mur, Paris, 2020 © Coquelicot Mafille

Coquelicot Mafille brode de son fil imaginaire, à l’adhésif ou à la peinture, les murs de nos villes. Si son trait discontinu peut paraître délicat, il recèle maintes significations toutes autant poétiques que politiques.

Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?

Née à Paris en 1975, j’ai grandi dans une famille d’artistes. Jusqu’à mes douze ans, j’ai vécu dans le quartier multiculturel du 18ème arrondissement où ses multiples influences m’ont fortement marquée. J’ai déménagé ensuite à Milan, en Italie. Je connais alors, pendant les années de mon adolescence, un élan civique engagé et underground, fréquentant le mouvement de la Zulu Nation avec ses graffeurs et breakdancers. Je fréquente plus tard des squats à Milan, ville où je vis et travaille depuis. J’expérimente tôt la richesse imaginative des langues, la multiplicité des savoirs et des lieux, les imprévus. Après le baccalauréat, j’étudie les sciences politiques puis multiplie les voyages. Je reviens à mes fondements artistiques en 2006, et à partir de 2010 m’y dédie complètement.

Comment avez-vous développé votre style actuel ?

Au lieu de dessiner à main levée, je préférais utiliser le médium du fil dans le cadre de la broderie pour récréer une image mentale. J’ai par la suite décliné l’idée de la broderie sur d’autres supports et via d’autres médiums : sur parois lisses et vitres avec de l’adhésif ou sur mur avec de la peinture. Ayant connu un fort contexte d’art underground, issu des années 80/90 et appréciant, depuis ma jeunesse, l’art pariétal du Néolithique aux fresques des églises italiennes, l’idée d’agir directement sur le mur m’est venue lors d’une exposition. Une fois tous les tableaux brodés installés dans la galerie, il restait dix mètres de mur. C’est alors que j’ai réalisé pour la première fois avec de l’adhésif – de fines lamelles que je découpe à la main à partir de feuilles adhésives colorées – ce que j’appelle un mur brodé.

Venezia è in Amazzonia (Venise est en Amazonie), peinture sur mur, Venise, 2020 © Marta Meo

Quelles ont été vos inspirations ?

Elles sont sans fin. Dès mes dix ans, naissent ma passion notamment pour les motifs “wax” africains et mon émerveillement pour le travail de Christo et Jeanne-Claude. J’aimais alors également Keith Haring et Ben Vautier. Je me suis toujours beaucoup nourrie de poésie de différentes cultures. J’ai par ailleurs toujours porté un grand intérêt pour les arts antiques. Mon univers artistique doit beaucoup également aux symbolistes tels que l’onirique Odilon Redon, aux préraphaélites ou Camille Claudel pour les poses et les mouvements nonchalants et doux de leurs sujets, ou encore à Vilhelm Hammershøi et ses intérieurs calmes. J’aime les espaces silencieux qu’on retrouve dans mon trait discontinu ou mes fonds non remplis. Selon moi, il n’est pas nécessaire de trop-plein pour notamment faire passer un message.

Triptyque de voiles, installation spontanée au Théâtre Burri, Milan, 2020 © Coquelicot Mafille

Vous définissez-vous comme street artiste ?

Je me considère comme une poétesse visuelle qui, entre autres, touche à l’art urbain. L’espace public est un support de messages et de beauté à partager. J’aime la réalisation spontanée liée au travail dans la rue. Il est rare que j’y refasse le même dessin. Ma signature réside dans mon trait identifiable, doux et discontinu.

Pourquoi avoir choisi ce nom d’artiste ?

Coquelicot Mafille sont mes vrais prénom et nom.

En effet, vous avez le nom d’une poétesse. Quel est votre processus de travail ?

Je pars souvent d’images et de photographies personnelles ou non. De là, je crée mes propres dessins préparatoires. Différents dessins composeront l’histoire que je souhaite raconter. À partir de ces dessins initiaux, j’en tire mes œuvres “brodées”, qu’elles soient peintes sur une toile, sur un mur, ou tracées avec de l’adhésif sur du verre.

La Danseuse, peinture sur mur, Faenza, 2019 © Walter Alessandrelli

Préférez-vous la ligne à la couleur ou l’inverse ?

Cela dépend du support. Mon trait sur les murs est discontinu, délicat et fin, souvent monochrome. En revanche, sur une toile, le trait peut être continu et présenter diverses couleurs : les lignes se chevauchent et s’enchevêtrent comme pourraient le faire des fils.

Réfléchissez-vous beaucoup en amont à vos peintures ?

Le travail en amont est assez long et complexe, mais souvent l’idée nette arrive d’un coup. Surtout pour ce qui est des œuvres “urbaines spontanées” – sans autorisation – et pour la petite poésie que j’ajoute à côté de chaque dessin.

Belonging to Layers, peinture acrylique sur toile de coton, 150 x 190 cm, 2018 © Mariko Atamanenko

Avez-vous un message à faire passer à travers vos créations ?

Mes créations sont des poèmes, des haïkus visuels, des ouvertures sur des morceaux de vie. Elles contiennent souvent un subtil message politique, conçu dans ce que la politique a d’humain, faite des petites choses quotidiennes qui marquent les relations entre les individus. Par ailleurs, j’ai toujours aimé les encyclopédies, les atlas, et dans le mouvement que je mène dans l’élaboration de mes œuvres, réside un désir impossible à atteindre : celui de raconter toutes les histoires du monde et de donner la parole à ceux et celles qui ne sont pas pris en compte dans le grand tumulte techno-capitaliste.

Sliding Waves, peinture acrylique sur toile de coton, 200 x 140 cm, 2018 © Coquelicot Mafille

Quels sont vos projets ?

Je travaille sur un projet relatif à l’Antiquité que je peins sur papier en grand format. L’idée est de se rapprocher de ces sociétés anciennes. Via ce projet, il ne s’agit pas de chérir un âge d’or mais de manifester l’urgence de retrouver un équilibre que les anciens détenaient à travers leurs connaissances vis-à-vis de la nature et des espèces animales.

Retrouvez le travail de Coquelicot Mafille sur son compte Instagram @coquelicotmafille.

Propos recueillis par Annabelle Reichenbach

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