Avant la retraite : un spectacle magistral
© Jean-Louis Fernandez
Au Théâtre de la Porte Saint-Martin, le metteur en scène Alain Françon s’attaque à une pièce de l’écrivain autrichien Thomas Bernhard qui présente l’étrange cérémonie réunissant un ancien officier SS et ses deux soeurs. Catherine Hiegel, Noemie Lvosvsky et André Marcon y sont magistraux, un spectacle indispensable et qui ne se joue que trois fois par semaine.
Un huis-clos pathétique
Le décor est signé Jacques Gabel, vieux complice d’Alain Françon, et plonge les personnages et les spectateurs dans l’immense salon tout gris, aux hautes fenêtres pénitentiaires, d’où perce une fade lumière d’automne qui ne laisse pas voir de nuages. Dans cette pièce austère vivent Véra et sa sœur handicapée Clara, clouée dans son fauteuil roulant depuis les bombardements alliés de la Seconde Guerre mondiale. Leur frère Rudolf, ancien officier nazi, aujourd’hui vénérable juge à l’aube de sa retraite, doit rentrer cet après-midi du 7 octobre pour célébrer en grand secret, comme chaque année, l’anniversaire d’Heinrich Himmler. Véra s’affaire donc, repassant activement le costume d’officier SS que Rudolf portera ce soir, s’excitant sur chaque bouton, chaque détail du portrait photographique de Himmler qu’elle a fait encadrer en argent massif.

© Jean-Louis Fernandez
Inceste et monstruosité
Clara, elle, prostrée dans le fauteuil et dans un silence éloquent, n’en pense pas moins. Refusant ce simulacre d’obéissance nazie aux relents nauséabonds, elle échange avec sa sœur tyrannique des invectives caustiques sans avoir la force physique de la contrer. “Nous sommes condamnées à l’abjection” dit-elle. Reste les journaux “de gauche”, organes des partis socialistes que hait tant sa sœur Véra, trop occupée à raconter les détails de sa nuit d’amour passée avec son frangin. Et oui, raconté comme cela l’histoire paraît bien glauque. Mais l’écriture de Bernhard peint ses contemporains autrichiens en trempant sa plume dans le vitriol de la complaisance et de l’hypocrisie, alors qu’ils se présentent comme les principales victimes de la barbarie nazie. “Il y a aujourd’hui plus de nazis à Vienne qu’en 1938”, affirme l’un des personnages de Heldenplatz, sa dernière pièce. Lors de sa création en 1979, Avant la retraite déclencha un scandale à Vienne car elle évoque bien un nazisme de salon, ordinaire, miroir du peuple selon l’auteur.

© Jean-Louis Fernandez
Acteurs de choc
Dans ce huis-clos aux volets vite refermés, où l’on sable le champagne en écoutant la 9° Symphonie de Beethoven, où le piano attend sagement que l’on joue andante une sonate de Schubert, où l’art est indispensablement célébré en même temps que l’album de guerre est rouvert, avec les militaires en goguette sous le calque des vieilles photos. Les bombardements et les camps de concentration forment une imagerie douce amère, dont on tournera les pages plus ou moins vite, les trois comédiens qui incarnent le trio sont éblouissants. Catherine Hiegel, d’abord, impériale et d’une justesse confondante dans le rôle de Véra, vénéneuse et perverse, qui ordonne cette orchestration monstrueuse en débitant avec une banalité et un entrain déroutants les pires horreurs, passant de la tendresse confite à la haine des Juifs, de la fausse gentillesse à l’imprécation au meurtre de sa sœur, frétillant comme une jeune Gretchen aux tresses nouées sur la tête que la cérémonie nostalgique commence. Chaque mot, chaque geste, chaque détail prend avec elle une importance démoniaque et chargée de sens. À contrario, Noémie Lvovsky, presque mutique, sans âge et sans allure, le visage fatigué force de se battre, joue Clara, celle qui résiste, celle qui dérange, l’Antigone empêchée de vivre librement et soumise à ses geôliers qui font d’elle leur jouet. Étonnement lumineuse et claire, c’est pourtant elle qui sourira à la fin. André Marcon, enfin, incarne un Rudolph pathétique et faible, pour qui l’alcool est le carburant de la puissance et du crime. Dans ce rôle, le grand acteur joue crescendo, enivré par la dérive de ce cérémonial décadent et morbide, qui passe de l’ordinaire à la révélation de la monstruosité humaine, drôle et terrible à la fois, tel un clown shakespearien.
Hélène Kuttner
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