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“La situation” : Bernard Bloch dessine un arc en ciel à Jérusalem

©Philippe Delacroix

Alors que la situation politique se tend en Israël, que les extrémistes de tous bords façonnent leur propre vision du réel, le comédien, auteur et metteur en scène Bernard Bloch ne cesse justement de creuser la réalité, de fouiller les âmes et de sonder les cœurs pour en extraire des paroles, aussi brûlantes que des pierres sous le soleil de l’Orient. Sa dernière création présentée au Théâtre du Soleil dresse un panorama riche, sensible et passionnant des multiples points de vue d’habitants de Jérusalem rencontrés durant deux mois. Un spectacle à voir de toute urgence, pour mieux comprendre, ou tenter de comprendre.

La guerre, la paix, des concepts ?

Jérusalem, capitale d’Israël, est un ville-monde, spirituelle, politique, ethnique, qui concentre en elle toutes les tensions et les problématiques qui font le noeud de la situation au Proche-Orient. Y habitent des Juifs, des Arabes, des Chrétiens, des Druzes, des Evangélistes. Avant 1967, la partie Est de Jérusalem était historiquement divisée en quatre quartiers : musulman, arménien, chrétien et juif. Difficile de déceler une mosaïque plus multicolore dans des maisons ancestrales surgies au travers des ruelles de ce puzzle culturel ! Est-ce que tout cela parle ? Discute ? Echange ? Très peu on le sait, et c’est bien pourquoi Bernard Bloch, dont on connaît l’ardeur à traiter les sujets sensibles de notre mémoire collective, avec des spectacles tels que Le Voyage de Cholb ou Le Chercheur de traces, est parti durant deux mois à Jérusalem, en 2016, pour y rencontrer une soixantaine d’habitants passionnés par la ville où ils habitent. Et si l’on parle de passion ici, c’est justement parce que leur parole, leur témoignage,  patiemment retravaillés ensuite afin d’en faire une pâte théâtrale, ne sont jamais simplement anecdotiques ou partisans. Qu’ils soient profs, retraités ou étudiants, plombier ou mère au foyer, croyants, orthodoxes ou athées, leur attachement à cette ville-monde est nourri d’une série d’affects que la raison éclaire souvent de manière lumineuse.

Une chronologie entre tensions et espoir

©Philippe Delacroix

Le spectacle débute autour d’une école située à Jérusalem, où enfants juifs et arabes y partagent un enseignement commun. Le directeur est là, déterminé, qui nous explique son projet depuis quelques années et sa conviction, gorgée d’idéal, qu’il faut donner à tous une éducation égalitaire pour leur permettre de devenir des citoyens d’une même terre. L’école est d’une blancheur immaculée que la belle lumière de Franck Thévenon ensoleille. Et le jeune homme qui vient l’interroger sur ce projet fou, double de l’auteur qui apparaitra dans la deuxième partie, poursuit sa promenade. Il y rencontre une jeune élève palestinienne, un vieux professeur palestinien lui aussi, qui de tout son savoir historique et politique, balaie de manière radicale cette belle utopie, mise à mal depuis le 14 mai 1948, date de reconnaissance par l’ONU de l’Etat d’Israël et début d’une série de violents conflits et d’assassinats, dont ceux d’Yitzhak Rabin et de Yasser Arafat, leaders politiques et artisans, avec les Etats-Unis, des accord de paix d’Oslo en 1994.

Jérusalem, au carrefour de l’évidence

Complexe, aride, mystique, intime, respectée, Jérusalem est revendiquée par chacun des interlocuteurs comme une évidence. Le professeur de philosophie, la chercheuse en Sanskrit, la jeune juive américaine en recherche de spiritualité, la sexagénaire tunisienne séfarade enfin parvenue à trouver la paix, loin du racisme et de l’antisémitisme subis dans l’université grenobloise où elle étudiait, se faisant tantôt traiter de juive, tantôt d’arabe, la jeune étudiante palestinienne qui ne pourrait, malgré les contraintes et les contrôles incessants, vivre ailleurs, tous évoquent cette ville comme une passion libératrice et aliénante à la fois. Et tous en parlent avec la même ardeur qu’ils parleraient d’eux-mêmes, de leurs parents ou de leurs enfants, avec une raison de revendiquer cette terre, refuge pour tous les Juifs persécutés par la Shoah et les pogroms, retour à une terre promise dans la Bible, terre d’appartenance pour des Palestiniens qui s’y accrochent de manière vitale. Les comédiens, Etienne Coquereau, Hayet Darwich ou Morgane El Ayoubi, Rania El Chanati, Camille Grandville, Daniel Kenigsberg, Muranyi Kovacs, Jonathan Mallard, Zohar Wexler et l’auteur, accompagnés aux claviers par Yannick Lestra, sont admirables de justesse et d’émotion. Ce travail, précieux et vibrant, est sur le fil du rasoir, entre le rire, l’ironie et les larmes. Tant de choses sont confiées, proclamées, que l’on a une furieuse envie de croire au rêve d’une paix impossible. Dont chaque spectateur aura ici les clefs.

Hélène Kuttner 

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