Festival d’Avignon Off 2025 : nos premiers coups de cœur
C’est parti ! Le Festival Off d’Avignon s’est calé sur le Festival In, et les dates correspondent parfaitement, du 5 au 26 juillet 2025. Et le Off démarre en fanfare cette année où la chaleur n’est pas seulement dans la rue mais dans les salles et sur les places peuplées de spectateurs venus de tous les coins du monde ! 1724 spectacles, dont 490 créations, 27 000 levers de rideaux dans 139 théâtres pour la plupart climatisés et confortables. Après Taïwan en 2024, le Brésil est cette année à l’honneur. Pour vous aider à faire votre choix, voici une première sélection de nos coups de cœurs en ce début de festival.
Vieilles chansons maléfiques, plongée dans des secrets d’histoire

© Patrick Carpentier
C’est un huis clos musical et sidérant que nous propose le metteur en scène Thomas Joussier, avec cette adaptation en français de la première pièce de l’auteur américain Jon Marans. Old Wicked Songs fut créé à Philadelphie en 1995 et reçut le prestigieux Prix Pulitzer un an après, consacrant la meilleure pièce de théâtre. Nous sommes à Vienne en 1986, dans le studio de répétition du Professeur Josef Mashkan, alors que l’Autriche vient d’élire son président, un ancien nazi, Kurt Waldheim. Des voix se lèvent pour révéler le lourd secret du président mais la majorité des Autrichiens ferme les yeux, comme l’a souligné dans toute son œuvre le dramaturge Thomas Bernhard. Un pianiste américain prodige de 25 ans, Stephen Hoffman, doit reprendre des cours de chant avec l’Autrichien Mashkan avant de se remettre à flot avec un autre professeur après un burn-out. Le premier contact entre les deux hommes, le jeune prodige et le vieux maître, est glacial. Mais au fil d’un jeu du chat et de la souris, le jeune Stephen, tendu comme un arc, commence à dévoiler sa souffrance et le but de ce retour en musique et en Autriche, tandis que Mashkan découvre l’envers de son costume amidonné et de ses codes guindés ridicules : ce sera une partie de la grande Histoire, en 1940 avec l’enfer du camps de Dachau, quelques mots avoués, comme l’envers du décor, tandis que la beauté d’une sonate au piano de Robert Shumann nous bouleverse. Tom Novembre incarne avec une présence magistrale, teintée d’un subtil accent, ce maître de musique exigeant, roublard, sec et généreux en même temps, face au jeune Nicolas Verdier, musicien également, pétri de sensibilité et et de révolte intérieure. Le décor de Jean-Michel Adam et les lumières de Jacques Rouveyrollis forment un délicat écrin à cet âpre combat de fauves.
Théâtre Le Chien qui fume, à 20h15 (relâche le mercredi)
Malaga, destination hautement dangereuse

©Othello Vilgard
Un couple, Véra, psychologue, et Michaël, inventeur d’une prothèse de l’oreille interne. Ils ont quarante ans et se retrouvent pour décider de la garde de leur fille de 7 ans, Rebekka, lors du prochain week end, alors qu’ils sont en instance de divorce. Véra semble à bout, fatiguée de l’ambition démesurée de son mari, lui-même déterminé à présenter son invention planétaire au congrès mondial d’audiologie à Innsbruck. Mais Véra a aussi prévu, depuis longtemps, son week end prolongé à Malaga, avec son nouvel ami. Qui va garder Rebekka, alors que la baby sitter habituelle n’est pas disponible ? Véra propose Alex, un jeune étudiant en cinéma de 19 ans, qui est le fils d’une amie. Mais cette proposition heurte Michaël, la discussion entre ces deux bobos très portés sur les sciences de l’éducation s’envenime, et l’arrivée d’Alex, qui considère sa vie comme du cinéma hollywoodien, et Rebekka comme sa nouvelle star, vient enflammer une situation explosive, embrasant les monstrueux égoïsmes de chacun. Le comédien et metteur en scène Renaud Danner a choisi d’adapter judicieusement cette pièce incandescente de Lukas Bärfuss dont les répliques incisives, les traits d’humour acide, font mouche à chaque moment du spectacle. Il interprète Michaël, face à Olga Grumberg qui joue Véra, Adrien Michaux qui est Alex, et Jean-Pierre Petit qui assure la présence rock à la guitare. Les scènes sont découpées comme des séquences de cinéma, datées et numérotées, dans la belle scénographie de Clara Hubert et les lumières ciselées d’Olivier Forma. On rit, on pleure, on est happé par cette descente aux enfers, mais on est surtout saisi par le ridicule de nos comportements infantiles. Un spectacle formidable et remarquablement interprété.
Artéphile, 12h15
Gauguin-Van Gogh, la rencontre explosive

©Cédric Tarnopol
Ils se sont aimés comme des frères, se sont admirés comme des fous, et ont cohabité durant deux mois avant de se déchirer comme chien et chat, période tumultueuse qui prendra fin avec l’épisode de l’oreille coupée, dont Vincent Van Gogh a fait un autoportrait célèbre. Nous sommes le 23 décembre 1888 dans la fameuse Maison jaune de Van Gogh, à Arles, celle dont Vincent voulait faire « une maison d’artistes d’avant-garde », de ceux qui casseraient les codes du classicisme et du réalisme. Pour l’heure, Paul Gauguin débarque dans le Sud chez son ami Van Gogh, protégé financièrement par Théo Van Gogh, le frère de Vincent. Gauguin est un des pères de l’art moderne, grâce à l’utilisation de la couleur, une personnalité forte qui fut successivement banquier, ouvrier sur la construction du canal de Panama, peintre en Bretagne, et père de quatre enfants. Van Gogh, au contraire, n’a ni femme ni enfants et accueille Gauguin comme un Dieu. Torturé, solitaire, malheureux, il se considère comme un peintre maudit et développe à l’égard de Gauguin une relation de dépendance intense. Mais Gauguin se voit comme un artiste totalement libre, qui n’a pas besoin de la nature pour lui servir de modèle. Sa muse, comme celle de Baudelaire, c’est l’imagination. Van Gogh, au contraire, s’inspire des champs de tournesols et ne peut rien créer à l’intérieur d’un atelier. Les disputes éclatent, malgré une complicité de tous les instants, et le drame survient lors du départ de Gauguin. William Mesguich, Van Gogh, et Alexandre Cattez, Gauguin, sont éblouissants d’engagement et de sincérité dans cette pièce signée et mise en scène par Cliff Paillé et Noémie Alzieu, avec la précieuse complicité à l’écriture de David Haziot. Un voyage émotionnel et pictural d’une formidable intensité.
Gémeaux, à 18h (relâche le mercredi)
Et bien sûr les coups de cœurs repris cette année :
Du Charbon dans les veines au Chien Qui Fume
Le spectacle a reçu 5 Molière, les places s’arrachent mais on avait adoré cette pièce de Jean-Philippe Daguerre formidable, une virée dans l’histoire et dans la géographie de la France à travers la vie de deux familles liées par le travail, l’amitié et l’amour.
La Cabane de l’architecte au Collège de la Salle
Le Corbusier, célèbre architecte, initie Robertino, un jeune garçon, au dessin et à l’architecture, lui apprenant à observer le monde. Du gamin mal dégrossi mais au cœur d’or, au maestro en architecture qui multiplie les complexes d’habitation citadines à la rationalité parfaite, se tisse une filiation intense nourrie d’apprentissage, de morale et d’exigence. Une histoire vraie, superbement mise en scène et écrite par Louise Doutreligne et Jean-Luc Paliès.
Made in France au 11.
Après Coupures, leur dernière création, dédiée au désastre écologique, Samuel Valensi et Paul-Eloi Forget reviennent au 11 pour leur dernière comédie, l’histoire d’une usine délocalisée qui devient le théâtre de cyniques tractations. Le monde du travail, le syndicalisme, les cabinets ministériels et les cadres voraces des fonds d’investissement sont les champs de mines explosives où se débat la joyeuse troupe de comédiens : réjouissant.
Article 353 du Code pénal au 11
Emmanuel Noblet adapte et met en scène le fascinant roman de Tanguy Viel, basé sur « l’intime conviction » des juges et des jurés lors d’un procès criminel. Face au juge campé par le metteur en scène et dans un décor sauvage, Vincent Garanger se révèle magistral en meurtrier au bout du rouleau, condamné à se faire justice pour sauver son honneur et son fils.
Helène KUTTNER
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