“Je me souviendrai de presque tout” : un duel entre deux monstres de théâtre
© Fabienne Rappeneau
Pierre Arditi et Nicolas Briançon se retrouvent sur scène dans un duel féroce et drôle entre un père comédien et son fils, un écrivain raté. Soudain, le silence chargé de haine se transmue en un torrent de témoignages et de révélations et les coups pleuvent comme les larmes, devant leur fils et petit-fils. Une belle réussite portée par de grands acteurs.
Autodafé
Dans un décor en forme de mansarde mal chauffée, sous les toits de Paris, dont on distingue des fenêtres noircies par la poussière et les vapeurs de fioul, un homme se réveille. Le cheveu gris en bataille, le sweat pas très net et le pantalon trop lâche, il répond sèchement à son ex-femme au téléphone qui lui demande les arriérés de trois mois de pension alimentaire pour leur fiston de 16 ans. Ses réponses sont laconiques, moqueuses, et l’ironie mordante de son ex le pousse à des extrémités lexicales. Il ne retrouve pas le livre qu’elle lui demande, évoquant l’autodafé de tous les livres qui lui appartenaient, et ses deux mois de retard de loyer lui font toucher le fond du désespoir. Heureusement, comme un rayon de soleil, il y a son fils, un lycéen qui fait les courses à sa place. Nicolas Briançon, rageur et désespéré, incarne avec une belle sincérité ce père au bout du rouleau qui enchaîne les échecs et survit grâce à la collaboration rédactionnelle d’un courrier des lecteurs dans un magazine. Dans le rôle du fils solaire, Miguel Vander Linden est parfait, aussi précis et vif que son père se révèle négligent sur tout. Ces deux-là survivent tant bien que mal, le plus jeune tourné vers l’extérieur et poussant son père, à qui il manque toute fierté, à prendre l’air.

© Fabienne Rappeneau
Pierre Arditi en comédien star
Quand il pénètre sur le plateau, dans son long manteau serti d’une écharpe aux couleurs vives, on a l’impression d’avoir devant soi un mélange d’Al Capone, pour la veste en cuir vieilli, et du Roi Lear, pour la chevelure léonine. Pierre Arditi incarne un personnage qui est comme lui acteur, qui possède un âge avancé, et qui a vécu comme lui mille vies. La confrontation avec son fils est cruelle, tant le ressenti du fils vis à vis d’un père qui l’a abandonné depuis des années est douloureux. Les voyages, les tournages, les nombreuses femmes, les trophées, ont occupé sa vie d’artiste égocentré, et il revient voir son propre fils comme pour implorer son pardon, pour faire pénitence.
Une pièce cousue main

© Fabienne Rappeneau
Naturellement, la confrontation soudaine entre ce père qui cabotine encore à quatre vingt ans, adore provoquer, lance en rigolant des blagues grivoises, et son fils aigri, meurtri par le manque de reconnaissance et d’amour, provoque des flaques de sang qui ne sèche plus, des coups bas qui ressemblent à des uppercuts en forme de répliques cinglantes et de formules cruelles. Le texte d’Alexis Macquart alterne méchancetés cinglantes et coups de patte tendres, sur la paternité oublieuse, sur la course au succès, sur le manque de confiance quand on a été abandonné par des parents. Pierre Arditi et Nicolas Briançon font mouche de chaque mot en grands comédiens qu’ils sont, l’un insupportable d’orgueil et de mensonges, l’autre aigri par une amertume vitale. Chacun avance ses cartes et découvre les secrets de familles, tentaculaires. Que devient l’amour si mal exprimé, si mal transmis entre un père et son fils ? Il demeure, comme une flamme qui vacille dans la nuit, et que porte triomphalement le petit dernier, qui a 16 ans, bien décidé à se saisir de la mémoire de son grand-père.
Hélène Kuttner
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