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Charlotte Omnès, styliste culinaire : “La même image peut produire des réactions entre le désir et le dégoût”

18 juillet 2014
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Charlotte Omnès, styliste culinaire : “La même image peut produire des réactions entre le désir et le dégoût”

Le 18 juillet 2014

Le 18 juillet 2014

Avec vingt ans d’expérience dans l’industrie culinaire, Charlotte Omnès est devenue la figure à suivre dans le stylisme culinaire. Travaillant avec des géants de l’industrie — Strabucks, Kraft, Häagen Dazs, parmi d’autres — ce sont les pièces artistiques de la série Textures and Cut in Half qui ont retenu l’attention du monde de l’art. 

Racontez-nous comment vous êtes devenue styliste culinaire. Est-ce que vous avez suivi une formation ?

Il n’y a pas de formation spécifique pour le stylisme culinaire, quelques cours ici et là. Je suis tombée dedans comme beaucoup de gens. Je pense que ce qui est indispensable est d’avoir un esprit très visuel.

J’ai débuté à l’école culinaire et j’ai travaillé dans des restaurants, sur un bateau de croisière et chez un traiteur — parcours typique dans le milieu. Autour de mes vingt ans, j’ai eu la chance d’être embauchée pour écrire des recettes et gérer le développement d’un restaurant, ce qui m’a donné un large aperçu du milieu culinaire. J’ai fait ce travail pendant six ans et demi puis j’ai réalisé que le stylisme culinaire était probablement ce qui me convenait le mieux.

J’ai toujours été très créative, même dans d’autres domaines que la nourriture, j’aime déguiser et je trouve qu’il n’y pas de lieu plus joyeux qu’un musée. Depuis le début, il était important pour moi de faire une présentation, d’utiliser la nourriture de façon créative au-delà du côté business.

Quels sont les facteurs qui vous ont poussé à faire les choses différemment avec la nourriture ?

C’est la perméabilité de la nourriture qui m’a semblé évidente : vous pouvez prendre n’importe quoi et le transformer en quelque chose que les gens aimeront. Ce qui est très intéressant avec l’utilisation de la nourriture comme médium c’est que ça ne dure qu’un moment — ça fond, ça change de couleur et ça disparait. Être capable de créer ce moment et de le capturer est ce que j’aime faire.

Quand j’ai commencé, je travaillais avec beaucoup de photographes qui commençaient leur carrière comme moi et j’ai saisi l’opportunité et demandé aux gens de prendre en photos ce que j’avais imaginé. Parfois, les gens ne comprenaient pas vraiment ce que j’essayais de faire, mais d’autres pigeaient tout de suite. Ça m’a autorisé à aller hors des sentiers battus en termes de stylisme culinaire.

J’ai eu la chance de travailler avec des gens ouverts à la créativité et je crois que cette énergie se traduit dans l’exaltation de nos photographies.

À quel moment la nourriture devient-elle une œuvre d’art et quel est votre rôle dans ce processus ?

Je crois que les gens l’aiment en tant que médium quand la représentation s’approche d’une forme d’art, parce que tout le monde mange ! Mon objectif est d’offrir aux gens un moyen de regarder la nourriture auquel ils puissent se rapporter. Ce n’est pas pour provoquer une certaine réaction, mais pour proposer un objet qui laissera une sorte d’impression. La réaction est laissée au spectateur comme une réponse à son expérience personnelle avec la nourriture et l’image. C’est pourquoi la même image peut produire des réactions entre le désir et le dégoût en fonction de la personne qui regarde et de sa relation avec la cuisine. La façon dont je manipule le médium vient de mon expérience, c’est là que ma sensibilité artistique entre en jeu. En utilisant la nourriture, à laquelle tout le monde se confronte, j’utilise un médium artistique qui va produire une réaction à coup sûr.

Dans Textures (de 2012), votre séries de peintures faites avec de la nourriture, quel but espériez-vous atteindre dans votre travail et qu’est-ce qui vous a inspiré ?

C’est parti d’une exposition de Robert Ryman que je suis allée voir au DIA : Beacon Museum à New York. Son travail, et celui d’autres artistes issus des mouvements minimalistes et abstraits ont fait écho en moi. Ils n’essayaient pas de concevoir une chose en particulier dans leurs peintures, le seul intérêt était l’expérience du médium. Tout mon travail est basé sur ma relation avec la nourriture en tant que médium — comment je peux la contrôler ou la laisser faire ce qu’elle veut, capturer la beauté et trouver ce moment où je peux dire : « Oui, maintenant c’est parfait. Prends la photo ! »

C’est vraiment ce qui a stimulé toute la série. J’ai parlé du projet à Beth Galton, une photographe avec qui je travaille beaucoup, qui avait elle aussi vu l’exposition sans que je le sache et a pensé que c’était une très bonne idée. J’ai vraiment apprécié le travail avec Beth parce que nous parlons la même langue créative.

Donc pour Textures, on a commencé à regarder les autres travaux sur lesquels on pouvait prendre exemple, par exemple Rothko. Ce que je voulais vraiment faire était de prendre de la nourriture, de créer une toile sur laquelle elle pourrait réagir et utiliser les ingrédients qui feraient sens en tant qu’ensemble. Je n’avais pas prévu de créer un sens plus profond, les gens sont attirés par mes créations parce qu’ils les trouvent intéressantes et peuvent se sentir concernés. Par exemple pour la peinture avec ketchup et moutarde, ça devait provoquer une interrogation sur ce que c’était avant même de réaliser que ce n’était que des sauces. Et c’est ce qui est amusant, parce que je peux leur montrer mon travail et ça peut changer leur perspective.

Est-ce que les ingrédients ont été placés ensemble selon leur couleur ou vous êtes-vous concentrés sur le goût ?

Un peu des deux ! Sur celle que nous avons faite et qui fait penser à Rothko ; il y a un bol d’ingrédients dans le même cadre pour distinguer qu’on utilise de la nourriture. Toute l’expérience consistait à prendre de la nourriture comme de la peinture et de voir ce qui se passerait. J’ai acheté tous ces ingrédients colorés, fait de la purée pour créer la peinture et les mettre ensemble pour obtenir la meilleure combinaison de couleurs et de goûts. Tout allait ensemble pour faire un bon plat — comme le poivre rouge et le vinaigre balsamique, ou les betteraves, le chou rouge et l’ognon rouge — ils se marient autant en couleur qu’en goût. Vous pouvez littéralement racler la toile et les manger ! [rires]

Et pouvez-vous nous expliquer l’objectif des peintures à l’encre qui font partie de la même série ?

Nous voulions vraiment que les gens comprennent que c’était des ingrédients et pas de la peinture. Avec cette peinture en particulier, si je n’avais pas placé une pieuvre sur la toile, ça aurait été un tableau classique. Mais si vous regardez bien, j’ai même utilisé de l’encre de seiche et j’ai appliqué de la purée de calmar sur l’encre pour créer de la matière et je l’ai utilisée pour mettre du blanc par-dessus le blanc, méthode utilisée par un artiste qui m’inspire, Franz Klein.
J’ai vraiment essayé de rester fidèle aux techniques qu’il utilisait et de créer quelque chose qui m’était propre. Dans ces peintures, une représentait le pont de Brooklyn et l’autre le World’s Fair Pavilion de New York, des restitutions abstraites et structures iconiques. C’est ce que Klein faisait, peindre quelque chose connu, mais dans un sens abstrait, dynamique et c’est ce que je voulais faire… mais avec de la nourriture.

La série qui a précédé Textures, Cut in Half (en 2012) a attiré l’attention des médias. Comment l’idée est-elle née ?

C’est un projet lancé par Beth — c’est parti d’un projet sur lequel elle travaillait pour un client où elle coupait un burrito dans le sens de la longueur en opposition avec la traditionnelle coupe en largeur, ce qui lui donnait une toute nouvelle perspective et révélait plus d’informations sur ce qui était à l’intérieur.

Donc nous avons rassemblé une liste des choses qui pouvaient être coupées en deux pour exposer une surprise à l’intérieur. Alors qu’on faisait la liste, j’ai commencé à me dire à quel point ce serait intéressant de prendre l’ensemble et de couper le tout en deux parties. Et c’est là que c’est devenu intéressant.

Celui qui a le mieux fonctionné était les céréales. En tant que photographe et styliste culinaire, notre travail est de créer une image de ce qui est à l’intérieur de la boite, donc c’était presque un jeu de dire « coupons le tout en deux et montrons plus ». Certains n’étaient pas appétissant, comme la soupe, mais c’est identifiable.

Chacun a eu une approche différente, par exemple le café froid a été le seul pour lequel nous avons utilisé Photoshop. Nous avons pris deux photos, une avec juste le café et une autre avec le lait et le sucre en train d’être versé dessus où nous avons capturé le brassage. Ensuite, nous l’avons posé sur l’original. Pour les captures de liquides — café, soupe, nouilles —, nous avons pris de la gélatine pour créer l’illusion. On voulait vraiment provoquer cette interrogation : « comment ont-ils fait ça ? »

Pour être capable de réaliser cette série, j’ai dû penser la technique autant que la créativité, utiliser plusieurs formes d’artisanats, penser le matériel. J’ai pris une dinde que j’ai emmenée dans l’atelier de mon copain et je l’ai coupée en deux avec une scie, ce qui dépasse le rôle de styliste culinaire et se rapproche plus du domaine du boucher maquettiste !

Est-ce que cette série interroge la culture du fast food, comme votre série Fast Food de 2013 ?

C’est certainement un parti pris sur le moment dans lequel nous sommes, comme cette nourriture globale que tout le monde peut identifier. Il n’y a jamais eu de moment dans l’histoire où tout le monde pouvait reconnaître le soda ou le popcorn. Ce qui est plutôt triste, mais aussi intéressant, où que vous soyez, qu’elle que soit la langue que vous parlez, vous reconnaissez ces objets. Dans Fast Food, je voulais jouer avec des aliments communs (fromage, soupe à la tomate), mais créer aussi l’illusion du mouvement.

Pour Textures et Fast Food, quel genre d’équipement avez-vous utilisé pour photographier ces créations ?

Ça dépend du photographe avec lequel je travaille, mais en général c’est un stroboscopique qui capture les éclaboussures et le saupoudrage.

Côté client, vous avez travaillé avec des marques conjointes aux fast food comme Starbucks, Target, American Express, ou Häagen Dazs. Avez-vous l’impression que vos croyances artistiques sont compromises par ces collaborations ?

Pas vraiment parce que j’arrive facilement à comprendre ce que veut le client et ce qu’il achète. Je peux vous dire mes pensées sur la nourriture et ce qui me motive en tant qu’artiste, mais ça n’a pas d’importance. Je dois me mettre dans la perspective du spectateur. Chez Starbucks, ils vendent ce qu’ils vendent parce qu’ils savent ce que leur audience veut et j’essaie de mettre cette idée dans un contexte. Je ne change rien. Que vous soyez un fin gourmet qui ne va jamais chez Starbucks, ou un consommateur typique, comme le sont mes clients, vous regarderez mon travail et l’apprécierez. Je ne pense pas qu’il y ait d’interprétation possible, je prends l’ordinaire et je le rends beau. Et alors que toutes les compagnies ne sont pas prêtes pour mon niveau d’expérimentation, certaines regardent mon travail et le trouve bon !

Que pensez-vous de la gastronomie moléculaire et des chefs comme Heston Blumenthal et Ferran Adrià ?

Je trouve ça génial. Ils ont créé une nouvelle approche devant laquelle je suis en véritable admiration, mais que je crains. Il y a ces grandes tendances où les gens trouvent de nouvelles façons de manger. J’ai été triste d’entendre que le WD-50 [restaurant de New York étoilé au Guide Michelin] avait fermé, c’est une indication de ce que la tendance a entrainé.

Chefs ou artistes, y a-t-il quelqu’un qui vous inspire quand vous êtes sur le point de créer quelque chose de nouveau ?

Mon travail en cuisine a été inspiré par des grands comme Julia Child et l’auteur Harold Magee, mais pour la plus grosse partie, je fais mon job et je ne m’engage pas avec le dernier chef superstar. Ce que je fais est différent du monde culinaire. Je suis plus inspirée par des photographes qui créent d’incroyables images, qui me font voir les choses différemment.

Parlez-nous de votre dernier projet inspiré de Lichtenstein…

Il a été inspiré et dirigé par un client qui possède beaucoup de condiments différents ! J’ai pensé à écrire avec des sauces, ça s’est transformé en bulles de bandes dessinées et nous sommes arrivés à les mettre sur un fond de bande dessinée, ce qui est devenu très Lichtenstein-esque.

Et la suite ?

J’ai trois gros projets en cours avec différents groupes de gens. Je travaille sur quelque chose que je voudrais voir en galerie avec des pièces que les gens pourraient acheter. Une autre série est basée sur la vidéo, ce qui j’espère, va plaire au public à des niveaux différents. Le concept de l’exposition c’est comme si l’industrie et moi-même disions de mon travail: « N’est-ce pas marrant ce que vous faîtes ? »

Art Media Agency 

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