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Célia Bernasconi : “L’exposition est le fruit de longs échanges”

Dans le cadre de l’exposition Variations, Les Décors lumineux d’Eugène Frey présentés par João Maria Gusmão, nous avons rencontré Célia Bernasconi, conservatrice en chef du Nouveau Musée National de Monaco et commissaire de l’exposition. Elle est revenue pour nous sur ses missions au sein du musée. 

Pouvez-vous nous parler de votre dernière exposition ? Comment avez-vous décidé de la mettre en place ?

L’exposition a pour objectif de faire découvrir au public un pan totalement méconnu de l’histoire de la scène moderne : les Décors lumineux à transformations. Ce procédé avait été inventé par le peintre Eugène Frey en 1900, et développé à l’Opéra de Monte Carlo pendant le premier quart du XXe siècle.
En combinant la technique ancienne des lanternes magiques et les techniques d’animation du pré-cinéma, Eugène Frey pouvait conférer aux décors de multiples variations de motifs et de couleurs, mais il introduisait aussi les projections de personnages en mouvement.
Cette association très libre de différents média analogiques a intéressé l’artiste João Maria Gusmão (né en 1979 à Lisbonne). Depuis 2017, il réalisait avec Pedro Paiva des projections de lanternes magiques, en utilisant des techniques d’animation très similaires de celles mises en œuvre par Frey. En puisant dans le vocabulaire de pionniers du cinéma (Eadweard Muybridge) ou de physiciens et philosophes des sciences (James Clerk Maxwell, Ernst Mach), João Maria Gusmão a élaboré pour cette exposition une installation scénographique composée de multiples projecteurs de diapositives modifiés. Synchronisées dans les différents espaces de la Villa Paloma, ces projections réactivent les différentes techniques d’animation utilisées par Frey, sous la forme d’un “micro-cinéma en lumière continue”.

Vue d’exposition NMNM – Villa Paloma. Variations, Les Décors lumineux d’Eugène Frey présentés par João Maria Gusmão – Michel Ocelot Tableaux lumineux pour “Le Château de la Sorcière” et “Le Manteau de la vieille dame” ca. 1989 Collection Michel Ocelot © Andrea Rossetti, 2020

Quelles sont les exigences propres au travail de commissaire d’exposition ?

Dans l’art contemporain, les commissaires d’exposition jouent le rôle de producteurs. Parfois nous concevons un projet d’exposition et invitons un ou plusieurs artistes à y répondre. D’autres fois, ce sont les artistes qui viennent nous voir avec un projet déjà très élaboré et ils nous demandent de les aider à produire les pièces. Ainsi le commissariat peut prendre de nombreuses formes. Il associe toujours le travail solitaire du chercheur à une nécessaire ouverture aux autres et au travail en équipe. L’exposition est le fruit de longs échanges, en partant d’une idée qui a germé et s’est développée au fil d’un dialogue avec les artistes et en fonction du lieu choisi. Cette malléabilité du projet est extrêmement motivante, il faut toujours repenser les choses et proposer de nouvelles perspectives. L’exposition Variations, par exemple, a pris forme au fil des discussions avec João Maria Gusmão. Son approche et ses propres connaissances ont modifié le regard que je portais sur le fonds historique que nous conservions. Enfin, les publications nous permettent de développer un projet encore différemment, sur un temps long, en suivant le regard de différents auteurs et avec un autre recul sur l’exposition réalisée.

Généralement, quelles sont vos inspirations lorsque vous choisissez les thèmes de vos expositions ?

Je ne suis pas commissaire free-lance mais conservateur de musée. Mon point de départ est donc, généralement, la collection du NMNM. Cela ne signifie pas uniquement les œuvres anciennement acquises, je peux aussi bien construire un projet dont la finalité sera d’enrichir la collection d’une nouvelle production. Depuis mon arrivée au musée, je me suis beaucoup intéressée à la question de la scénographie et du décoratif, interrogeant le rapport des artistes à la scène (expositions Portraits d’Intérieur, Designing Dreams) mais aussi à l’histoire des média et de l’image en mouvement (expositions Latifa Echakhch, Variations). Une autre inspiration est l’histoire du lieu où l’on travaille et la question du territoire. La Côte d’Azur est le lieu de villégiature et de production de très nombreux artistes au XXe siècle. C’est ainsi que nous avons invité des artistes de tous horizons à porter un nouveau regard sur cet héritage, je pense à l’œuvre de Saâdane Afif d’après la Fontaine de Duchamp, au travail de Kasper Akhoj sur la villa E-1027 d’Eileen Gray, Marc-Camille Chaimowicz d’après Jean Cocteau etc…

Comment la collection d’un musée national est-elle constituée ? Quels sont les critères qui sont pris en compte lors de l’acquisition d’une œuvre ?

La collection du NMNM est constituée de l’ancien fonds du musée des Beaux-Arts, enrichi au fil des décennies par différents dons, dépôts et acquisitions. Une partie importante de la collection est liée à ce qu’on appela “l’invention de Monte-Carlo” dans la deuxième moitié du XIXe siècle, notamment autour de l’Opéra Garnier. Nous conservons de nombreux artefacts (costumes, maquettes de décors) qui témoignent de la place centrale des arts vivants dans le rayonnement culturel de Monte Carlo. Les arts de la scène constituent donc un axe important pour nos acquisitions. Un autre axe se dessine autour des œuvres cinétiques. Enfin, les acquisitions depuis les années 2000 se concentrent également sur notre rapport à la nature, dans un paysage fortement urbanisé. Nous essayons de faire en sorte que les œuvres contemporaines entrent en résonance avec les collections plus anciennes. Répondant à l’objectif de faire du musée un lieu dédié au patrimoine artistique de Monaco, la collection révèle à la fois les spécificités du territoire monégasque et son ouverture sur le monde.

Vue d’exposition NMNM – Villa Paloma. Variations, Les Décors lumineux d’Eugène Frey présentés par João Maria Gusmão © Andrea Rossetti, 2020

Préparez-vous des projets durant cette période de confinement, pour la réouverture du musée ?

Je travaille en ce moment sur un projet d’exposition monographique de l’artiste japonais Shimabuku. Il aurait dû venir à Monaco à la fin du mois de mars pour commencer la production des pièces, l’exposition était programmée en juillet mais nous avons dû la repousser à l’automne.
Le travail mené par Shimabuku depuis 30 ans fait étrangement écho à la situation internationale actuelle. Il parle de réparation, de résilience, mais aussi de rencontres et de voyages. C’est une aubaine de travailler avec lui en ce moment, car son travail entraîne un état méditatif et nous engage à remettre en question l’attention que nous portons à notre environnement, aux éléments naturels, aux animaux, aux hommes et femmes d’autres cultures.
L’exposition qui se tiendra à la Villa Paloma est construite autour d’une œuvre emblématique, appartenant aux collections du NMNM et intitulée I’m travelling with a 165 m. mermaid.
Lorsqu’il découvre, à Fukuoka, au sud du Japon, la légende d’une sirène dont le corps, qui mesurait 165 mètres de long, s’échoua là en 1222, Shimabuku décide de s’approprier cette histoire et s’achète une longue corde mesurant, elle aussi, 165 mètres “pour se rapprocher” de cette femme-poisson. Emmenée tout autour du monde, cette corde devient un vecteur qui relie la fiction au réel, le passé au présent, et le Japon aux différents pays dans lesquels l’œuvre est présentée. Ainsi, après avoir voyagé du Japon aux États-Unis, en Australie et, l’installation s’enrichira à Monaco de nouveaux récits liés à la culture et aux traditions locales.

Plus d’informations sur le site internet du musée 

Propos recueillis par Valentine De Gobbi

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