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“Peau d’Âme – Sur les traces du film de Jacques Demy”

Affiche du film Peau d'Âme. Sur les traces du film de Jacques Demy. Un film de Pierre Oscar Lévy et Olivier Weller

Il était une fois un archéologue amoureux du cinéma de Jacques Demy, Olivier Weller, qui, un jour, découvre qu’un confrère, Pierre-Arnaud de Labriffe, avait pour terrain de jeu enfant la cabane où Catherine Deneuve, alias Peau d’Âne, confectionnait son cake d’amour pour le prince.

On revoit immédiatement la scène où, rayonnante dans sa robe couleur soleil, elle finit par glisser sa bague pour que le prince puisse la retrouver. Et de fil en aiguille est né ce projet de fouiller le lieu du tournage, loué à l’époque à l’été 1970 par la famille de ce confrère dans le parc du château de Neuville à Gambais, dans les Yvelines. Les premières opérations ont été menées en 2012, de façon méthodique telle qu’Olivier Weller les pratique habituellement, lui qui est chargé de recherche au CNRS (UMR Trajectoires), spécialisé dans l’étude de la production du sel du Néolithique à la Protohistoire européenne.




Est-ce une fouille archéologique pour autant ?

“Le service archéologique régional de la Drac Île-de-France n’avait à l’époque ni autorisé, ni interdit ces opérations, avançant qu’elles ne répondaient pas aux critères définis par la loi sur le patrimoine”, relate Olivier Weller. Côté définitions, le site Internet de l’Inrap propose : “L’archéologie étudie les civilisations à partir de leurs cultures matérielles. De l’observation à l’interprétation, en passant par la restitution et l’enregistrement, l’archéologie nécessite une somme de savoir et de savoir-faire. […] Du vestige au monument, même réduits à l’état de traces, c’est l’observation et l’exploitation des témoignages qui s’y rapportent, écrits, images, voire témoignage oral pour les périodes très récentes, qui alimentent et renouvellent les recherches archéologiques.” Or, le problème est qu’aucune barrière chronologique n’est fixée, ce qui laisse le champ libre à l’appréciation individuelle et donc subjective. “Il y a encore quelques années, il était compliqué de fouiller des sites de la Seconde Guerre mondiale !”, rappelle Olivier Weller. Toujours est-il que le projet n’est pas reconnu comme une fouille archéologique, tout comme le Déjeuner sous l’herbe de Daniel Spoerri exhumé par Jean-Paul Demoule ne l’avait pas été. Les conséquences ? Aucun budget ne peut être alloué et les objets mis au jour n’ont pas le statut d’objet archéologique.

Image tirée du film Peau d’Âme – Sur les traces du film de Jacques Demy
Un film de Pierre Oscar Lévy et Olivier Weller

Consécration de La Cinémathèque française

Et c’est là où l’on voit toute l’ambiguïté car La Cinémathèque française n’a pas porté le même regard et a considéré que le projet avait une valeur patrimoniale : elle a accepté le don des 4 000 objets mis au jour (des éléments de décor dont le miroir de la fée, des clous, des fragments d’ampoules de projecteur, des strass Swarovski de la robe couleur soleil sachant que les robes originales du film ont disparu…), le film réalisé par Pierre Oscar Lévy, les archives de la famille Demy-Varda sur Peau d’Âne, les 76 heures du rush de la “comédie documentaire musicale” comme s’amuse à définir leur film Olivier Weller. Tout en sachant que La Cinémathèque conservait déjà la peau de l’âne et la baguette de la fée.

Ensuite, un tel projet est intéressant à plusieurs niveaux comme l’explique l’archéologue : “En fouillant ce conte de fées, on explore plusieurs strates. L’anthropologue peut y lire l’histoire d’un inceste, le premier interdit de toute société humaine pour se constituer en tant que groupe selon Claude Lévi-Strauss. Le psychanalyste nous dit qu’une fille ne peut se marier qu’en quittant le foyer du père dans une société patriarcale. Ensuite, on est plongé dans la tradition orale et l’archéologie de ce récit : Demy n’a pas utilisé la version de Perrault de 1695 inspirée fortement de contes napolitains, mais celle de Jacques Collin de Plancy de 1826, et on se rend compte que, au fil des siècles, les uns ont recopié sur les autres ; c’est ainsi qu’à la fin de notre documentaire, nous remontons jusqu’à la grotte Chauvet où l’art pariétal était également un support pour raconter des histoires qui circulaient ! Par ailleurs, d’un point de vue technique, ce projet prépare l’archéologie du futur car le terrain nous informe sur des matériaux que l’on ne connaît pas encore en archéologie : les plastiques, les polymères, les polystyrènes, les colles, des gommes, les mégots de cigarettes…”

Ainsi, le public découvre de façon ludique ce qu’est l’archéologie et l’interdisciplinarité à travers un film d’auteur, les démarches scientifiques, les décalages entre la réalité matérielle et les témoignages (la mémoire des individus reconstruisant parfois le passé), tout en revisitant un conte de fées… Le film Peau d’Âme est sorti le 20 avril au cinéma, mais aussi en VOD et DVD, et a remporté deux prix dans des festivals de film d’archéologie. L’aventure se poursuit en août prochain qui verra la dernière campagne de fouilles. De quoi prolonger le rêve…

Stéphanie Pioda

Les auteurs ont besoin de vous : www.ulule.fr/archeologie-du-merveilleux 

Prochaines projections :

Dans le cadre des Journées Nationales de l’Archéologie :
– Au Luminor (20, rue du Temple, Paris 4e)
Vendredi 15 juin à 14h (avec Olivier Weller, archéologue CNRS et samedi 16 juin à 11h
– Au Nouvel Odéon (6, rue de l’École de Médecine, Paris 6e)
Samedi 16 juin, à 16h (avec Jean Douchet, historien et critique du cinéma)
Mardis 19 et 26 juin à 20h, dimanches 24 juin et 1er juillet à 18h

http://site.lookatsciences.com/peau-dame/
en VOD sur : https://www.shellac-altern.org/films/465
Websérie Journal d’un archéologue du merveilleux à retrouver sur www.universcience.tv (www.universcience.tv/video-1-les-retrouvailles-23040.html)

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