nuance fétiche : quand le vécu devient vision, selon Marie-Agnès Opoku, aka Ama
Marie-Agnès Opoku, aka Ama © Aurore Baldy
Manager d’artistes, fondatrice de nuance fétiche et voix engagée pour une industrie musicale plus inclusive, Marie-Agnès Opoku, alias Ama, transforme son vécu en action. À travers son parcours, elle remet en question les normes, crée des espaces sûrs et accompagne des artistes qui, comme elle, refusent les cases. Dans cette interview, elle partage son parcours, les obstacles surmontés, ses réussites et sa vision : une industrie où chaque artiste peut exister pleinement, sans compromis sur son identité. Une conversation sans faux-semblants, portée par l’envie de faire bouger les lignes.
En quoi ton parcours personnel influence t-il ton engagement envers la défense de la diversité dans l’industrie musicale ?
Mon parcours est fait de questionnements et de découvertes. Petite, je cherchais simplement à me reconnaître quelque part — à l’école, dans les médias, parmi les artistes. Je me sentais différente sans vraiment comprendre pourquoi. J’ai eu la chance d’avoir l’amour de mes parents comme ancrage, mais certaines réalités restaient difficiles à nommer. À Paris, j’ai commencé à comprendre ce que je ressentais. J’ai pu mettre des mots sur mes expériences : les violences, la fétichisation, mais aussi la solidarité, quand on trouve des personnes qui nous comprennent. J’ai réalisé que ces sentiments personnels se reflétaient aussi dans ma vie professionnelle. Mon engagement n’est pas né d’une grande théorie, mais de ce vécu simple : quand on ne se sent pas représenté·e, on peut finir par croire qu’on n’a pas sa place.
Je travaille pour que d’autres n’aient pas à se poser ces questions, pour que la diversité soit une évidence, pas un combat. Parce qu’au fond, si on baisse les bras, qui prendra la relève ?
Peux-tu partager ton parcours professionnel et expliquer comment il t’a inspirée à fonder ta propre structure de management ?
Comme beaucoup de petites filles, j’ai grandi avec cette pression d’être parfaite, première en tout.
Je suis arrivée en prépa HEC sans savoir ce qui m’attendait, et j’ai souffert. En école de commerce, j’ai peu appris académiquement, mais j’ai pu partir aux États-Unis et multiplier les stages, me construisant un précieux réseau de “managers de demain”. Ma marraine m’a dit : “Choisis un métier en fonction de la vie que tu veux.” La musique me passionnait, alors j’ai foncé. J’ai commencé dans une chaîne TV de musique classique et jazz, puis décroché une alternance chez Universal avant de rejoindre Warner. Petit à petit, des artistes ont commencé à me demander des conseils, puis à vouloir que je les accompagne officiellement. Je n’avais pas prévu de devenir manageuse, mais la vie m’y a menée naturellement. J’ai compris récemment qu’il y avait un besoin pour une structure différente, qui mettrait l’humain et l’authenticité au centre plutôt que l’esthétique musicale. C’est comme ça que nuance fétiche est née — pas d’un grand plan, mais d’une nécessité que j’ai ressentie sur le terrain.
Quels sont les principaux objectifs de nuance fétiche pour promouvoir la diversité parmi les artistes, en particulier au sein des communautés queer et des personnes racisées ?
nuance fétiche a un objectif simple : créer un espace sûr où les artistes peuvent évoluer sans avoir à s’excuser d’être eux-mêmes. Je ne cherche pas à remplir des quotas ou à cocher des cases. Je travaille avec des personnes sincères et talentueuses, qui ont quelque chose à exprimer. Mon rôle est de m’assurer qu’elles soient entourées de professionnels qui les comprennent réellement, sans les réduire à une seule identité. Nous construisons ensemble, étape par étape. Si cela permet d’ouvrir des portes à d’autres, tant mieux – c’est ce qui donne du sens à tout cela.

nuance fétiche
Quels obstacles as-tu rencontrés dans l’industrie musicale quant à la représentation de la diversité, et comment les as-tu surmontés ?
Il faut être honnête : les femmes et les minorités sont encore sous-représentées dans l’industrie, surtout aux postes de décision. Je l’ai vécu, j’ai parfois galéré, mais je ne me suis jamais définie comme une victime. Ce qui m’a sauvée, ce sont les collectifs comme All Access ou Mewem. Ces espaces m’ont permis de rencontrer des personnes qui partageaient mes expériences, de mettre des mots sur ce que je vivais, et surtout de trouver des solutions concrètes. Créer nuance fétiche a été ma façon de ne pas me résigner. Quand on ne trouve pas sa place, parfois, il faut la créer soi-même. Et chemin faisant, j’ai rencontré des allié·es précieux·ses qui partagent cette vision. On ne peut pas changer tout un système seul·e, mais on peut créer de petits espaces qui fonctionnent différemment. C’est déjà beaucoup.
Peux-tu citer des collaborations réussies avec les artistes que tu accompagnes ?
Chaque artiste que j’accompagne suit un parcours unique, et j’en suis très fière.
Pour celles et ceux avec qui je collabore sur le long terme :
Louise Pétrouchka électrise les clubs et festivals avec ses DJ sets – elle vient d’être programmée à Garorock. Au-delà de sa musique, elle crée de véritables safe spaces grâce à son concept “La Chatte en Feu”. Son podcast 4 quarts d’heure connaît également un beau succès, avec des passages remarqués au Spotify Radar Festival ou encore à Série Mania.
You Man propose une électro en dialogue constant avec l’art visuel. Ils ont remixé des artistes comme Charlotte Gainsbourg ou Polo & Pan, et leur show à l’Opéra Garnier s’est joué à guichets fermés en seulement 48 heures – une belle reconnaissance de leur travail.
Avec Oprah, c’est une histoire de résilience qui me touche particulièrement. Après avoir surmonté une tumeur cardiaque et reçu un PRIMUD Award, elle revient plus forte que jamais, avec des compositions empreintes de profondeur et de sens.
Quelles initiatives spécifiques as-tu mises en place pour soutenir les talents issus de divers horizons culturels et ethniques ?
Je fais tout pour qu’on se sente compris·e. J’essaie d’être la plus transparente possible, on définit la vision ensemble, je choisis les partenaires avec soin.
Louise lutte contre les violences sexistes dans les milieux festifs, You Man explore les liens entre musique et art numérique, et Oprah travaille à faire le pont entre la scène ivoirienne et la France.
Je cherche toujours à créer un cadre safe, où l’artiste peut être qui il ou elle est, sans devoir performer une image attendue. Et puis on s’amplifie les un·es les autres : quand l’un·e brille, ça fait de la lumière pour tout le monde. Par ailleurs, j’ai aussi accompagné par le passé des artistes dont Lakna qui ont atteint des scènes prestigieuses, collaboré avec des figures majeures de la mode ou de la musique.
Comment, selon toi, le soutien aux artistes divers transforme t-il l’industrie musicale pour l’avenir ?
Ça change tout. On arrête de faire semblant, de lisser les récits. Les artistes que j’accompagne sont là avec leur vécu, leur héritage, leurs blessures, leurs forces. Louise propose un autre rapport à la fête — plus libre, plus safe. You Man, c’est une immersion sensorielle. Oprah, c’est une parole forte, une vraie puissance. Et tout ça, ce n’est pas de la “diversité pour cocher une case”. C’est l’essence même de ce que doit être la musique : une voix pour tou·te·s, un reflet du monde tel qu’il est, avec ses nuances.

Marie-Agnès Opoku et Oprah
Comment sensibilises-tu le public et l’industrie à l’importance de la diversité dans la musique ?
Je le fais en racontant des histoires. Celles des artistes que j’accompagne, mais aussi la mienne.
Parce qu’au fond, on touche les gens quand on parle vrai, avec nos émotions, nos contradictions, nos nuances. À chaque prise de parole — même dans des discussions plus informelles — j’essaie toujours de montrer ce qu’on gagne à faire de la place aux identités qu’on invisibilise : plus d’authenticité, plus de richesse, plus de liens humains. Et puis, j’utilise aussi ma position dans l’industrie, et dans des réseaux comme Mewem ou All Access, pour ouvrir des espaces de parole, questionner les pratiques et provoquer des prises de conscience, même petites. C’est un travail qui demande de la patience… mais quand une personne comprend mieux, agit mieux, ça vaut tout.
Que signifie pour toi, personnellement et professionnellement, être une voix de changement et de soutien dans l’industrie musicale ?
Ça veut dire refuser l’idée que les choses ne peuvent pas bouger. Personnellement, c’est guérir la petite fille en moi qui se sentait de trop, pas à sa place. C’est lui dire : “Regarde, on est là maintenant, et on prend soin des autres qui se sentent comme toi.” Professionnellement, c’est créer un cadre où les artistes et les professionnel·le·s peuvent exister pleinement, sans se tordre pour rentrer dans des cases.
C’est aussi prendre le risque de faire différemment, de croire en des carrières qui ne suivent pas les chemins classiques. C’est une responsabilité, mais c’est aussi une joie immense. Parce que quand je nous vois briller en restant aligné·e·s avec qui nous sommes, je me dis que ce que je fais a du sens. Et ce n’est que le début.
Quels conseils donnerais-tu à d’autres professionnels de l’industrie pour qu’ils contribuent activement à une meilleure inclusion de la diversité ?
D’abord, écoutez activement — pas seulement pour répondre, mais pour comprendre. Soyez attentifs aux expériences vécues, aux besoins exprimés, aux talents qui s’épanouissent dans des espaces alternatifs.
Ensuite, remettez en question vos réflexes de recrutement et de collaboration. Explorez au-delà de vos réseaux habituels. La diversité des talents est partout — il faut simplement ajuster notre regard pour la voir. N’attendez pas la perfection pour agir. Chaque petit pas compte. J’ai appris que l’apprentissage se fait dans l’action, à travers des essais, des erreurs et des ajustements. L’important est de rester en mouvement. Le plus crucial : voyez la diversité comme une richesse fondamentale, pas comme une obligation. Quand on comprend qu’elle apporte innovation, créativité et connexion authentique avec des publics plus larges, l’inclusion devient une évidence — stratégique autant qu’éthique. C’est à ce moment que le vrai changement commence.
Pour suivre Marie-Agnès Opoku sur Instagram et ses artistes sur le site Web de nuance fétiche
Propos recueillis par Pauline Marcovici
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