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Une « Force du Destin » exemplaire à Bastille

©Julien Benhamou

L’opéra de Verdi revient sur le grand plateau de l’Opéra Bastille, dans la mise en scène de Jean-Claude Auvray, portée par une nouvelle distribution de chanteurs dirigés merveilleusement par le chef Nicola Luisotti. Anja Harteros est sublime de tragique dans le rôle de Leonora et le ténor américain Brian Jagde éblouissant dans celui d’Alvaro. Une soirée brillante pour plonger au coeur d’un feu d’artifice musical.

Mise en scène épurée pour un mélodrame romantique

©Julien Benhamou

Quatre heures de spectacle pour raconter une vengeance ! Celle d’un frère, Carlo, à la recherche de l’assassin de son père, le Marquis de Calatrava, tué accidentellement par Don Alvaro, fils de la noblesse Inca et fou amoureux de Léonora, la fille du Marquis, avec laquelle il devait s’enfuir. Poursuivis tous deux par la haine vengeresse de Carlo qui les pourchasse à travers tout le pays, les deux amants seront rattrapés par la fatalité. Des XVI° et XVII° siècles espagnols dont s’inspire Verdi pour son livret, Jean-Claude Auvray transpose l’histoire deux siècles plus tard, à l’époque de l’écriture de l’opéra, en 1861, alors que le compositeur vient d’être élu député dans l’espoir de voir l’Italie unifiée contre ses ennemis européens. Dans une scénographie épurée, limitée à une grande table et des toiles peintes signées Alain Chambon, l’action se concentre donc sur les personnages principaux pris au piège d’un destin maléfique dans des lumières sculptées minutieusement par Laurent Castaingt.

Des interprètes brûlants

©Julien Benhamou

Et ils brûlent tous d’ardeur et de désir, vital ou mortifère, les personnages ardents de cette production, épaulés par le chef Nicola Luisotti qui les dirige avec l’orchestre d’une passion débordante, un élan fougueux et romantique, une attention sur chaque note en étirant le climax de chaque tableau. Anja Harteros, divine soprano, acclamée lors de la première, voix riche et profonde, sans jamais céder aux effets, module avec un art consommé le velours de ses aigus, le bronze de son médium puissant ou feutré. Elle incarne à la perfection l’héroïne meurtrie, jouet d’un destin masculin, sacrifiée à l’autel du Christ, d’une élégance sauvage sans son « Pieta » final et déchirant.  Brian Jagde fait ses premiers pas à l’Opéra de Paris dans le rôle écrasant d’Alvaro. D’abord discret et un peu raide, le ténor s’enflamme ensuite pour irradier le plateau d’une voix puissante, aigus projetés et d’une clarté solaire. Le naturel, la franchise qu’il prête au personnage le font évoluer avec une finesse dramatique et un engagement sensationnel dans une étonnante palette de sentiments humains

Des choeurs et des personnages haut en couleurs

©Julien Benhamou

Face au couple d’amoureux transis, Zeljko Lučić dessine un Carlo à la serpe, puissant et cassant comme une lame, bouillonnant de vengeance, tandis que Rafal Siwek impose sa haute stature et sa somptueuse voix de basse au Padre, maître de la pénitence chrétienne. A l’opposé, le Fra Melitone de Gabriel Viviani est croustillant et débordant de joie, un théâtre à lui tout seul, face aux nécessiteux qui crient famine et la Preziosilla de Varduhi Abrahamyan est d’une drôlerie folle, énergique patriote embarquant les soldats dans un bellicisme criard. Ce petit monde coloré est entouré de choeurs formidablement présents et précis, dirigés superbement par José-Luis Basso, qui forment le peuple italien et les soldats en guerre contre l’Allemagne. Le « Ran Tan Plan » de la scène de mobilisation, salve ironique de Verdi, est particulièrement percutant. Scènes de liesses, scènes de guerre, duos d’amour, monologues tragiques, à l’ombre d’un immense Christ en croix ou d’un drapeau italien, le spectacle déroule son lot d’atmosphères et d’histoire dans une Italie à reconstruire et à réunifier. La musique, ici très bien servie, nous sert de guide de voyage, comme une boussole qui peine à indiquer le Nord.

Hélène Kuttner

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