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Au Rond-Point, Morel, “Skylight” et “Tout mon amour” : tiercé gagnant !

© Giovanni Cittadini Cesi

François Morel et ses camarades de jeu Antoine Sahler et Gérard Mordillat jettent l’ancre avec des chansons d’un vrai faux chanteur breton qui leur permettent de jouer avec la beauté des mots et la fantaisie de la musique, Claudia Stavisky s’attaque à un féroce trio social écrit par l’Anglais David Hare et Arnaud Meunier monte avec beaucoup de délicatesse un texte mystérieux de Laurent Mauvignier. Trois créations qui célèbrent avec talent la création vivante.

Tous les marins sont des chanteurs

© Giovanni Cittadini Cesi

L’amour de la Bretagne, le pays de son père, ne quitte plus ce conteur et comédien touche-à-tout qui nous régale de son esprit aiguisé comme une lame. Pour célébrer les chansons d’un poète breton inconnu et disparu en mer à l’âge de trente ans, Yves-Marie Le Guilvinec (1870-1900), dont il raconte avoir découvert, avec l’auteur Gérard Mordillat, des feuillets noircis et rongés par les embruns dans un grenier de Saint-Lunaire en Ile-et-Vilaine, il nous propose un voyage dans les brumes celtiques avec une liberté et une fantaisie poétique pleine d’humour et de fraîcheur. Sur une scène qui ressemble à une grande barque où trône une voile blanche qui fait office d’écran pour attester de la véracité des informations, quatre compères officient avec un talent confirmé autour du comédien-chanteur qui prend ses aises comme pour faire un boeuf. Antoine Sahler, complice d’écriture et musicien multi-talents, dont les mains magiques et la créativité opèrent aussi bien sur le piano, l’accordéon ou la trompette ; Amos Mah, violoncelliste, violoniste et comédien, qui se  tranforme aussi selon le coefficient des marées ; Muriel Gastebois, à la batterie, mais aussi à la chanson, et Romain Lemire, historien de la conférence à laquelle on assiste, qui mène avec le plus grand sérieux son panégyrique sur le poète disparu. On se demande s’il a bien existé, malgré les nombreuses photographies et témoignages, mais le prétexte était trop beau, pour François Morel et sa bande, pour ne pas profiter de cette mythologie pour broder une histoire farfelue et de délicieuses chansons grivoises, avec une naïveté et une drôlerie emballés dans le charme nostalgique des cartes postales en noir et blanc avec des Bigoudènes en coiffes et en sabots. Piquant et drôle, délicieusement festif, voilà une recréation qui fait beaucoup de bien.

Skylight

© Simon Gosselin

Kyra, que la fine Marie Vialle interprète avec une justesse confondante, est enseignante dans une école publique d’un quartier difficile de Londres. Pour ne rien manquer du réel qui l’entoure, elle a choisi de se loger dans un autre quartier populaire où elle loue un semblant d’appartement dans une friche industrielle, sans chauffage central ni commodité d’accès. Peu lui importe de cuire son repas sur un réchaud, de corriger ses copies enveloppée dans un plaid ou de passer une heure dans un bus bondé à 7 heures du matin. Ses élèves l’attendent, elle les aime, et quand elle peut déceler dans l’un d’eux la lumière d’un don, c’est pour elle un cadeau du ciel. Kyra/ Marie Vialle est en mission permanente pour réparer la société, en partie détruite par la gestion hyper libérale de Margaret Tatcher, la dame de fer anglaise dont le mandat s’est achevé en 1990. La pièce, à trois personnages, raconte le retour du jeune Edward, le fils de l’ex amant de Kyra, Tom. Il se trouve qu’après la visite du fils, c’est le père lui-même, Tom, qui déboule chez Kyra. Tous les deux ont vécu une intense histoire d’amour que la femme de Tom a découverte, avec la complicité de Kyra. Après son décès, les amants se retrouvent mais sans trouver de terrain d’entente. Tom est un manager de restaurants direct et sans nuances, que Patrick Catalifo interprète avec une énergie de félin. Blessé par la maladie et la mort de sa femme, il tente de renouer avec celle qu’il nomme la femme de sa vie. Dans un très beau décor de Barbara Kraft, les comédiens, dont Sacha Ribeiro éblouissant dans le rôle du fils, témoignent d’une émouvante vérité, malgré des rôles qui frisent parfois la caricature sociale. Hyper réalistes, les dialogues de David Hare fouillent au plus profond des personnages et de leurs contradictions, faisant de Kyra et de Tom les antipodes d’une relation électrique, passionnelle, inévitable. Dans une mise en scène de Claudia Stavisky, les comédiens portent ce texte dense avec une générosité impressionnante.

Tout mon amour

©Pascale Cholette

Où est-on ? Dans une maison hantée ou une demeure délaissée par le temps ? Le spectacle s’ouvre sur l’angle de deux pièces entourées de murs voilés, avec la troisième, une chambre, qui dissimule sous ce même voile l’intimité d’un lit conjugal. La scénographie de Pierre Nouvel et les lumières subtiles d’Aurélien Guettard dessinent d’emblée une atmosphère de mystère et de suspense lourds de sens cachés. On est après l’enterrement d’un vieil homme, le grand-père (Jean-François Lapalus) dont le fantôme vient se réincarner pour donner des leçons à son fils (Philippe Torreton). Pour l’heure, le père et la mère, jouée par Anne Brochet, s’évitent, se fuient. Elle pour délaisser une maison de vacances où la famille se réunissait jadis, et lui pour demeurer, alerté par une mystérieuse présence qui vient le hanter. Leur fille Elisa a disparu à l’âge de 6 ans et depuis dix ans ils doivent survivre. Qui est cette mystérieuse jeune fille (Ambre Febvre) qui sonne à leur porte avec les poupées de leur fille morte ? Et pourquoi la mère ne veut absolument pas la recevoir, s’obstinant dans un refus nerveux face à son fils, venu de Paris, joué par Romain Fauroux ? Laurent Mauvignier tricote un texte fait de mots et de silences, de ruptures, une musique des âmes que les comédiens excellent à interpréter avec une infinie précision, laissant planer le mystère de l’intrigue et des béances familiales. Entre réel et fiction, rêve et cauchemar, le théâtre ici joue dans les couloirs des châteaux de Maeterlinck, entre gothique et psychanalyse, dans les interstices de la mémoire et du refoulement. A chacun de comprendre, ou pas. Et c’est beau. 

Hélène Kuttner

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