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Biarritz : après le G7, la danse

Thomas Hahn 25 août 2019
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"Traversée", Cie Wejna © Pierre Brye

La valse des Trump, Johnson, Merkel… sera à peine terminée que le festival Le Temps d’Aimer aidera les Biarrots à tourner la page. Ce festival de danse propose une autre vision des relations internationales, tournées vers l’humain. Du flamenco à la techno, du hip-hop à Cunningham, des migrants à Carmen.

Ce sera le grand soulagement. Ou la gueule de bois. Le G7 de Biarritz se termine officiellement le 26 août. À partir du 27, les résidents du centre-ville pourront donc de nouveau accéder à leurs habitations sans présenter un badge. La gare, l’aéroport et même les plages du centre seront de nouveau ouvertes, les voitures pourront y retourner et les milliers de policiers partiront. Les journalistes du monde entier aussi. Les touristes reviendront, sans doute. Mais le retour à la vie normale sera-t-il possible en une seule journée ? Les habitants redoutent l’état de siège. Biarritz ne compte que 25 000 habitants. Une ville aux dimensions aussi modestes, qui vit essentiellement du tourisme, peut-elle surmonter en un seul jour le choc de voir débarquer une véritable machine d’occupation franco-américaine ?

Un autre mode est possible

Et surtout, quelles seront les répercussions sur un festival de danse qui commence environ une semaine après ? Passera-t-il inaperçu puisque tout le monde aura besoin de se remettre de ses émotions ? Ou sera-t-il au contraire un exutoire, un tremplin permettant aux habitants de se réapproprier leur ville ? Première manifestation culturelle à avoir lieu après le G7, sans doute dominé par les conflits et les adversités, Le Temps d’Aimer dira haut et fort, à partir de son titre : un autre mode est possible. Un modus vivendi sous le signe de la coopération, sans exclusion, festif et centré sur ce qui unit les humains. La danse n’est pas cotée en Bourse, mais elle défend des valeurs universelles.

Martin Harriague, un chorégraphe qui fait des vagues

Ils ont à Biarritz un jeune chorégraphe qui monte : Martin Harriague. Né sur la côte basque, il fut d’abord danseur au Ballet Biarritz dirigé par Thierry Malandain, chorégraphe phare du renouveau esthétique entre grand jeté et pas de basque, avant de danser et chorégraphier en Israël. Et il a fait le choix de retourner vivre à Biarritz où Malandain l’accueille les bras ouverts en le nommant artiste associé de son ballet. L’année dernière, Harriague a même été le premier chorégraphe à être invité à créer une pièce avec les danseurs de la troupe de Malandain. Ce fut Sirènes, une épopée chorégraphique évoquant le sort des océans pollués. Et là, on se dit qu’une telle pièce aurait eu toute sa place dans un festival prenant la relève du G7.

Peut-on rire de Trump en dansant ?

Et ce n’est pas tout. En mai 2019, Harriague est invité en Allemagne, au Ballet de Leipzig, à créer une autre pièce de grande envergure. Ce sera America, œuvre chorégraphique s’attaquant explicitement à Donald Trump, sa politique, sa vanité et sa toxicité. Il y a dans l’univers de Harriague un côté iconoclaste, farceur et burlesque qui trouve dans la figure de Trump un punching-ball rêvé.

On n’est donc pas étonné de voir Harriague faire partie des chorégraphes présents au Temps d’Aimer. En revanche, il ne l’est avec aucune de ces deux œuvres qui auraient pu aider à chasser les esprits violents du G7. Il présente au contraire une nouvelle création, un duo avec une danseuse du Ballet de Göteborg sur des musiques de Schubert, un pas de deux qui semble là aussi vouloir évoquer la dégradation de la nature, mais d’une manière plus abstraite. Pas de Sirènes donc, et pas de Trump. Trop chaude, la patate ? Trop tendu le contexte, sans doute.

Voir des sirènes, au lieu de les entendre

On sait que Malandain, également directeur artistique du festival, est un homme d’une modestie exemplaire et qu’il préfère l’harmonie au moindre grincement de dents. Il invite donc Harriague à créer une nouvelle pièce qui parle de la dégradation de la nature, un duo avec une danseuse du Ballet de Göteborg. Mais il invite aussi le Danish Dance Theater avec une pièce intitulée, justement, Siren. Où il y aura de l’eau sur scène, évoquant la vie des marins et les sirènes. Et le chorégraphe n’est autre que le Suédois Pontus Lidberg, qui a tant fait parler de lui avec Play, sa création mirobolante pour le Ballet de l’Opéra de Paris. Trop de sirènes tuent la sirène ? Les sirènes dansantes sont pourtant la meilleure réponse à celles, hurlantes, des voitures de police.

Danse basque ?

Et même si Le Temps d’Aimer évite de prendre officiellement une position d’anti-sommet, le festival propose un modèle d’ouverture. Par la diversité des compagnies invitées, Biarritz affirme ici que la ville ne se résume pas à ses villas. On est en terre d’accueil, sur un terroir qui connaît ses traditions et les cultive, et qui s’inscrit pourtant dans la danse contemporaine. On ne dira pas de Martin Harriague qu’il est un chorégraphe basque, puisqu’il travaille à l’international et qu’il revient tout juste sur ses terres d’origine.

En revanche, Le Temps d’Aimer présente toujours un ou deux chorégraphes locaux, tous fort intéressants et pourtant quasiment invisibles en dehors du Pays Basque. Cette année, on pourra revoir la pionnière, Matxalen Bilbao. Par ailleurs, peut-on imaginer prénom plus euskari ? Elle partage ici le plateau avec une danseuse de 30 ans plus jeune qu’elle, entre création et retour aux sources, ce qui nous rappelle que Le Temps d’Aimer prépare d’ores et déjà sa 30e édition qui aura lieu l’année prochaine. Et face à la plage, on verra cette année la rencontre de six danseurs venus de la danse basque, contemporaine ou classique, avec un moniteur de surf, pour un ballet iodé, ironique et inattendu.

Géographie inversée

On remarquera aussi que le festival fait du paysage géopolitique une lecture très différente de celle du G7. Qui représente ici les États-Unis ? C’est Robert Swinston, ancien assistant de Merce Cunningham, qui dirige à Angers le Centre National de Danse Contemporaine. Le centenaire de la naissance de Cunningham est, cette année, incontournable. Les danseurs d’Angers présentent donc Beach Birds (on est à la plage, après tout) et Biped, grand classique de l’art numérique. Et le Canada ? C’est Andrew Skeels, des Grands Ballets de Montréal. Mais sa pièce Finding Now est une création pour des danseurs urbains français. Pour l’Italie, on peut citer Francesco Colaleo et Maxime Freixas (Cie MF) avec un duo qui propose une réflexion sur l’effet qu’a sur nous le regard de l’autre.

Et c’est tout. Le reste appartient à des pays nullement présents au G7. Par exemple : la Compañia Nacional de Danza de Madrid avec Carmen. Bien sûr, direz-vous, mais cette version, cette relecture dans une ambiance de polar est l’œuvre de Johan Inger, deuxième chorégraphe suédois ici représenté. Qui veut se rapprocher plus de la tradition espagnole pourra goûter le flamenco de David Coria, nouvelle star montante entre Séville et Jerez. Ou prenez le programme Dutch Masters de la compagnie hollandaise Introdans qui présente des pièces des grands chorégraphes Hans van Manen et Jiří Kylián. De la danse internationale au sommet, pas un sommet international.

Terre d’accueil

Mais la vraie réponse au G7 se dessine quand les chorégraphes abordent la migration. La chorégraphe Sylvie Pabiot (Cie Wejna) signe une pièce sur un temps suspendu, entre deux lieux, sur la traversée et la survie, l’espoir, l’interdépendance et la solidarité, justement intitulée Traversée. Et Faizal Zeghoudi vient avec No land demain ?, un hommage aux migrants, au sujet de la guerre, de la fuite, de la traversée et de l’arrivée. Tout un périple.

D’autres pièces parlent de résistance, comme Kalakuta Republik de Serge Aimé Coulibaly, qui évoque la république autoproclamée de Fela Kuti au Nigeria et l’assaut policier qui mit fin à cette utopie libre dans un état policier. Y répond la compagnie hip-hop Diptyk avec D-Construction, où elle s’empare de la rue, en revenant aux sources du hip-hop et des révolutions. Cette pièce se joue dans la rue ! En salle, Diptyk donne Dans l’engrenage, deuxième volet de leur réflexion sur les révoltes des peuples. Le souvenir tout frais du G7 mettra du sel supplémentaire. Du sel marin. Du gros sel qui pique…

Thomas Hahn

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