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Avignon 2025 : “Brel”, une splendeur signée Keersmaeker et Solal Mariotte

Helène KUTTNER 7 juillet 2025
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© Christophe Raynaud de Lage / Festival d'Avignon

La papesse de la danse contemporaine Anne Teresa De Keersmaeker crée un duo splendide avec le jeune danseur Solal Mariotte autour de plus de vingt chansons de Jacques Brel enregistrées en public et archivées. « Le Diable » s’invite en prélude, avant « La Valse à mille temps », « Amsterdam » ou « Les Marquises ». Dans des lumières sublimes qui rendent les ombres vivantes sur les pierres de la Carrière Boulbon, texte, musique et danse conjuguent un spectacle d’une beauté poignante.

Un véritable trio

© Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Comment danser des chansons de Jacques Brel, lui qui dans chacune de ses chansons créait un véritable monde, une narration théâtralisée qui donnait à saisir la moindre parcelle de peau et d’émotion ? Entendre, et mieux voir Jacques Brel chanter constitue un spectacle à part entière dont les paroles, l’émotion et la charge sociale, politique jaillissent comme des météorites. Ce projet est né d’un amour pour cet artiste, partagé entre Anne Teresa De Keersmaeker, 65 ans et quarante cinq ans de danse au compteur, et Solal Mariotte, 24 ans, formé à la breakdance en France et à P.A.R.T.S, l’école de danse de Keersmaeker à Bruxelles. Elle, la Flamande à l’expertise chorégraphique et musicale parfaite, et lui le Français qui découvre Brel sur YouTube, se retrouvent le temps d’un spectacle d’une heure et trente minutes dans un même projet, danser Jacques Brel. Ils sont tous deux costumés de gris, à l’image du costume de Jacques Brel en concert. Elle pénètre la première sur la scène, de dos, comme pour un hommage au grand artiste. Son corps frémit, ne danse pas encore. Son chignon de cheveux blancs est impeccable, après la puissante chanson « Le Diable, Ça va » lancée en prologue, qui dit en 1954 les horreurs de la guerre, des bombes et des trains qui déraillent. La chanson, anti-militariste, avait d’ailleurs été interdite sur les antennes publiques en Belgique, avant d’être reprise la même année par Juliette Gréco. Le ton est donné et la soirée débute par un cri de révolte contre ce Diable qui s’invite avec des bombes dans notre société en l’arrosant de Dollars. « Ça va » !

Des corps qui se déploient en émotions et en souvenirs

© Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

La suite du spectacle verra les plus belles chansons de Jacques Brel s’enchaîner, par le son ou les vidéos de concerts subtilement projetées sur la carrière. Dans cet environnement sonore, poétique et orchestral magistral, Anne Teresa se déploie comme un oiseau de nuit déployant ses ailes, les bras tournoient, le buste se penche et les jambes commencent à faire pivoter les fesses, dans le cercle de lumière blanche éclatante projeté du haut de la carrière. Dans l’ombre, de loin, le jeune danseur chantonne, vient rôder autour du plateau, comme s’il éprouvait l’atmosphère, les mots, la musique et les paroles. La reine Anne tournoie, et sur « Quand on n’a que l’amour » se met à danser, délicatement, comme pour ne pas faire d’ombre à la chanson. Progressivement, le jeune danseur se rapproche du cercle de lumière, et est invité à danser, à tournoyer sur le plateau. Ce qui peut être surprenant, mais d’une foudroyante intelligence, c’est que l’on ne voit jamais la danse illustrer, ou dominer la chanson. La danse imprime aux deux corps le prodigieux effet ressenti par la puissance des mots et de la musique de Brel. 

Danser avec les mots 

© Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

D’ailleurs, les chansons et l’interprétation de Brel sont tellement puissantes qu’elles se suffisent à elles-mêmes. Sur « La Valse à mille temps », « Les Flamandes », les deux danseurs expriment avec des gestes familiers, sans désir de virtuosité, la profondeur du sentiment, comme s’ils extrayaient de leurs corps les bribes de souvenirs et d’émotions. La fougue s’invite progressivement, quand la chorégraphe jette soudain son costume de scène et tournoie nue, splendide, sur le plateau avec « Ne me quitte pas ». Le visage de Brel s’imprime sur le buste blanc de Keersmaeker, la lumière s’adoucit, et la splendeur de la chanson fait écho à la posture ramassée, tremblante d’émotion de la danseuse. L’amitié, l’amour, la vieillesse, les femmes, la religion, l’enfance, le couple, la Belgique, Brel a tout chanté avec une puissance incroyable. Solal, le jeune danseur, déploie sa virtuosité scénique au fil de chansons où il exprime de tout son corps, avec l’élégance d’un Apollon, la vibrante énergie, la pulsion de vie de Jacques Brel. Anne Teresa n’est pas en reste, et elle est magnifique de vitalité, de puissance scénique, d’énergie et de révolte. Les cheveux blancs sont lâchés, on tombe aussi le pantalon pour danser, jambes nues, et visage rieur ou dévasté, celui d’une petite fille ou d’une vieille dame. On sort de ce voyage totalement transporté, et on aimerait rester avec eux trois, Anne Teresa, Solal et Jacques Brel toute la nuit.

Helène Kuttner 

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