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Buru Mohlabane : « Kanana est un lieu sans problème, sans corruption, un paradis »

Via Kanana, la nouvelle création de la compagnie Via Katlehong et du chorégraphe de danse contemporaine Gregory Maqoma, est présentée à la Grande Halle de la Villette. Rencontre avec Buru Mohlabane, manager de la compagnie et assistant chorégraphique. 

© Christian Ganet

Le titre de la pièce est une référence à Canaan, la terre promise. Pouvez-vous nous expliquer le choix de cette référence biblique ?

Kanana (Canaan) est un lieu sans problème, sans corruption, un paradis. Gregory Maqoma a évoqué cette image, et on a ajouté le « Via », comme on le fait souvent pour le nom de nos pièces, pour introduire l’idée qu’on va revisiter le mythe. Ainsi, avec Via Kanana, on confronte la vie actuelle au passé et on réclame les promesses que nos leaders nous ont faites.

Chacun sait que pendant l’apartheid, on se battait pour la liberté. Pour nous, cette liberté désignait un lieu où l’on vivrait comme dans un paradis. Un lieu où l’on pourrait vivre nos vies différemment, sans racisme notamment. Aujourd’hui, on a la liberté, mais sans pour autant connaître la vie meilleure dont on a rêvé, à cause de la corruption ambiante. On rappelle aussi les promesses faites de nous rendre nos terres.

Justement, quel regard portez-vous sur cette corruption en Afrique du Sud, omniprésente dans la pièce ?

La corruption en Afrique du Sud affecte chaque génération, pèse sur l’économie. C’est très mauvais pour le pays et sa réputation. Aujourd’hui qu’ils sont libres, les Noirs ont la possibilité de changer les choses. Cependant au lieu de trouver des solutions pour régler les problèmes et aller de l’avant vers une vie meilleure, la corruption s’est installée dans le pays. Nous, on veut aller de l’avant. On est désormais assez courageux pour dire stop à ces dérives.

© Christian Ganet

Via Kanana est une pièce commune entre les Via Katlehong et Gregory Maqoma. Comment le projet s’est-il construit ?

Gregory performe dans les mêmes théâtres que nous. À force de se croiser, on a souhaité travailler ensemble, car on n’avait jamais créé de projet avec un chorégraphe de danse contemporaine. Gregory est un excellent chorégraphe, très professionnel, reconnu dans les institutions. Quant à Via Katlehong, c’est une compagnie spécialisée dans les danses traditionnelles sud-africaine. Or, la Pantsula et le Gumboots ne sont pas reconnues, ni prises au sérieux par les institutions, alors qu’elles nous donnent l’immense chance de diffuser notre culture à travers le monde.

Cette collaboration représente donc de belles opportunités. On a invité Gregory à chorégraphier une pièce en lui précisant que c’était décisif pour nous de garder l’image de Via Katlehong, notre énergie, notre identité. Il a ajouté sa touche personnelle, très contemporaine. Il nous a beaucoup appris.

© Christian Ganet

Vous faites des workshops dans toutes les villes où vous jouez la pièce. En quoi cette transmission  est-elle si importante pour vous ?

Il nous semble essentiel de diffuser notre culture, nos danses, nos origines. Katlehong est un township avec une histoire très forte, mais qui souffre d’une mauvaise réputation. Les touristes qui viennent en Afrique du Sud vont le plus souvent visiter Soweto, Johannesburg. Pas Katlehong ! Il n’y a que des personnes noires qui y habitent, les blancs n’y vivent pas. Avant, il y avait même un panneau rouge qui indiquait : « C’est un endroit dangereux, n’y allez pas ! ».

Via Katlehong veut encourager le tourisme dans notre township. Le nom même de la compagnie induit qu’il faut passer par là. Avec ces ateliers, on a l’opportunité d’expliquer d’où l’on vient, on apprend aux gens nos danses et leur histoire, on invite les gens à nous rendre visite pour constater l’évolution du township. Et depuis les années 2000, de plus en plus de monde vient, ces ateliers ont donc un certain impact.

Propos recueillis par Joséphine Pannier Léonard

A découvrir sur Artistik Rezo :
– « Via Kanana » : La danse comme utopie, Thomas Hahn
Sophia Town – Théâtre de la Cité internationale

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