0 Shares 974 Views

“Contrastes” ou le clair obscur magnifique d’une danse contemporaine au Palais Garnier

Hélène Kuttner 3 décembre 2025
974 Vues

©Benoite_Fanton_

Composé de quatre pièces chorégraphiques, dont deux signées Trisha Brown, avec « O złożony / O composite », une entrée au répertoire « If you couldn’t see me », ainsi qu’une création parisienne de David Dawson « Anima Animus » et une création d’Imre et Marne van Opstal « Drift Wood », le nouveau spectacle de danse de l’Opéra de Paris embarque les spectateurs dans des eaux tourmentées et splendidement contrastées, une tempête entre ombre et soleil, magnifiée par des interprètes sublimes. 

O złożony / O composite 

©Benoite_Fanton_

Dans un ciel étoilé et brumeux, trois danseurs apparaissent dans la sobriété et la fluidité d’une gestuelle essentielle. C’est un voyage habité et mystique, rendu encore plus étrange grâce à la création musicale de la musicienne Laurie Anderson, et de la voix grave et sensuelle qui dit le poème de Czeslaw Miloz Ode à un oiseau, délicate célébration du Prix Nobel de Littérature à la faune et à la flore, dont les sonorités rugueuses et palpitantes du polonais saisissent par leur étrangeté. Et c’est cette poésie, qui fait écho au dessin au fusain Night Sky #18 de Vija Celmins, infuse les postures au ciselé mathématique, quasi abstrait, qui déploient un alphabet gestuel et lexical infini, langage du souffle et du mouvement. Hypnotiques et d’une précision folle, les étoiles Dorothée Gilbert, Marc Moreau et Guillaume Diop assument avec leur prouesse technique et leur élégance les duos et trios qui répondent au poème, portés à l’horizontale, corps gainés de blanc dans des figures géométriques mais mouvantes. L’art de Trisha Brown, star de la post-modern danse américaine, se joue du tendu relâché et se saisit de tous les arts, sonores, visuels, littéraires. On aurait aimé connaître le sens des vers polonais qui sont distillés, mais le mystère est exigé et on s’incline devant la beauté expressive de la danse.

If you couldn’t see me

©Benoite_Fanton_

Pour ce solo créé en 1994, Trisha Brown ne voulait offrir que son dos. C’est son ami Robert Rauschenberg, musicien, scénographe et costumier, qui avait suggéré à la chorégraphe de 56 ans de se produire sans jamais faire face au public. Dans des lumières crépusculaires, Hanna O’Neill, danseuse étoile, se prête au jeu des ondulations dorsales, long corps de liane brune caressé par une robe échancrée. Le dos ressort, musculeux, tandis que le corps dont on ne voit jamais le visage ondule, ondoie, tutoie la sensation et la volupté nocturne. Erotique car caché, jouant avec l’ombre en permanence pour laisser voir une épaule, un bras, une cuisse, le solo prend ici la forme d’une expérimentation de l’espace, dessinant des émotions et des affects avec les fesses, cambrant et ondulant ses hanches et ses mains dans des nappes de brouillard pailleté. Ce jeu de dévoilement qui dessine des mystères est ici sublimé par la grâce simple et aristocratique de la danseuse.

Anima Animus

©Benoite_Fanton_

Tout autre est l’atmosphère de ce ballet explosif, virevoltant et d’une exigence technique hallucinante, que le chorégraphe David Dawson a créé sur la partition obsédante du Concerto pour violon d’Ezio Bosso. Rythme enfiévré, pulsations infernales, la partition d’un dynamisme tellurique impose aux danseurs vêtus en noir et blanc, elfes acrobates, une technicité physique folle et une précision infernale. Pour la première représentation, les étoiles Bleuenn Battistoni et Valentine Colassante, Marc Moreau, Paul Marque et Germain Louvet, mais aussi Andrea Sarri, Hohyun Kong, Bianca Scudamore, Clara Mousseigne et Elizabeth Partington, tous ont fait montre d’un talent et d’une résistance hors du commun, dans des portés vertigineux, composant des figures à la géométrie suspendue, corps en apesanteurs, ou dans des diagonales enivrantes. Le tout est néo-classique et d’une perfection qui ne souffre aucun temps mort, ça pulse, ça secoue, ça tourbillonne pour recommencer ! Virtuosité des postures dans le déséquilibre, femmes volantes et hommes qui les soutiennent à l’oblique, dans un tourbillon d’énergie sans faille qui réveillerait les morts ! Femmes et hommes sont magnifiquement opposés et attirés, dans une danse électrisante et frénétique, rendant les spectateurs totalement subjugués et conquis.

Drift Wood 

©Benoite_Fanton_

C’est l’automne du spectacle dans cette création du duo fraternel Imre et Marne van Opstal, qui puisent leur inspiration dans le romantisme de la nature et la mémoire collective. Le son du bois flottant sur l’eau se fait entendre, et la forêt des montagnes du Vercors apparaissent dans une brume verdâtre, comme un paysage du 19°siècle. Un groupe de danseurs apparaît, costumés de vêtements signés ALAINPAUL. Par grappes humaines, ils se tiennent debout puis s’effondrent à l’instar de vagues qui déferlent dans une marée montante ou descendante. La musique suave d’Amos Ben Tal nous embarque, sur un terrain vague où les personnages dialoguent avec leurs corps, s’embrassent et s’enlacent, comme des lianes mouvantes. Cette danse théâtre prend corps avec ceux de Caroline Ormond, Clémence Gross, Isa Viikinkoski, Jennifer Visocchi, Seohoo Yun, Adèle Belem, Marion Gautier de Charnacé, Mikaël Lafon, Yvon Demol, Loup Marcault-Derouard, Baptiste Bénière et Eric Pinto Cata, personnages plein d’étrangeté et de sensualité. La jeunesse et la métamorphose du temps, la maturité et son attrait pour la gravité terrestre, sons et images s’encanaillent dans ce brouillard d’émotions et d’amour. Cela ressemble parfois à du cinéma mais la présence physique, organique, nous envahit avec la musique. A la fin, la focale d’un rideau de scène se resserre sur un couple, comme Adam et Eve au commencement du monde. On continue à rêver.

Hélène Kuttner 

En ce moment

Articles liés

“Damascus” (feat. Omar Souleyman and Yasiin Bey) : nouveau titre de Gorillaz extrait du prochain album “The Mountain”
Agenda
50 vues

“Damascus” (feat. Omar Souleyman and Yasiin Bey) : nouveau titre de Gorillaz extrait du prochain album “The Mountain”

“Damascus” (feat. Omar Souleyman and Yasiin Bey) est le tout nouveau titre de Gorillaz, le quatrième extrait du prochain album studio du groupe, “The Mountain”, qui sortira le 27 février 2026 sur leur propre nouveau label, KONG. Écrit par...

Billie Eilish au cinéma : découvrez les premières images exclusives du film coréalisé avec James Cameron
Agenda
54 vues

Billie Eilish au cinéma : découvrez les premières images exclusives du film coréalisé avec James Cameron

Réalisé pendant sa tournée mondiale jouée à guichets fermés, BILLIE EILISH – HIT ME HARD AND SOFT TOUR (3D) propose une nouvelle expérience de concert innovante sur grand écran, avec l’une des artistes les plus célèbres et les plus...

“Ex Utero”, la comédie féministe et engagée à la Scène Libre
Agenda
53 vues

“Ex Utero”, la comédie féministe et engagée à la Scène Libre

Un seule-en scène exceptionnel avec Sabrina Nanni ! Une femme naît-elle que si elle devient mère ? La vie, parfois, t’oblige à n’être que toi… Un “voyage en mère” qui nous fait chavirer et dans lequel Sabrina Nanni jongle...