Festival d’Avignon OFF 2025 : nos derniers coups de cœur
Une jeune fille traverse les faubourgs de Brindisi un révolver à la main, quand Marcel Proust nous est révélé dans sa vie secrète et sa détermination à être reconnu. Figaro nous revient dans la peau brûlante de Philippe Torreton, alors que Thierry Frémont et Nicolas Vaude se demandent comment quitter la femme qu’ils aiment dans une nouvelle pièce. Voici quatre créations formidables, qui risquent bien de se prolonger, pour cause de succès, la saison prochaine.
La Sœur de Jésus-Christ, fulgurante traversée

©LARA-HERBINIA
C’est l’un des spectacles les plus courus du Festival d’Avignon. Il est signé par Georges Lini, qui avait déjà enflammé le festival en 2023 avec son Iphigénie à Splott. Cette fois, nous ne sommes plus dans la banlieue de Cardiff où ferment les usines, mais au Sud de l’Italie, dans la région des Pouilles, dans le talon de la fameuse botte, où des familles entières portent sur leurs épaules le poids des traditions. Ici, une Antigone contemporaine, une jeune fille éprise de justice, qui ne supporte plus la domination masculine, les regards appuyés des mecs sur les filles trop libres, décide de passer à l’acte. Durant une fulgurante traversée, la belle Maria, dite sœur de Jésus-Christ -car son frangin a les cheveux longs- va traverser tout son village, entourée d’une foule mélangée, amis ou familles, chasseurs et bikers, garagistes et institutrice qui l’entourent ou lui barrent la route, armée d’un Smith&Wesson 9 mm en direction du garçon qui l’a abusée et qui se trouve dans sa boutique, à l’autre bout du village. Pour monter ce texte brûlant, magistral, écrit par l’Italien Oscar de Summa, le metteur en scène Georges Lini a eu la bonne idée de confier le rôle du narrateur à un très jeune et très brillant comédien, Félix Vannoorenberghe, qui interprète tous les personnages, dans sa robe rouge impérial et son casque de biker sur la tête. Le comédien est tout simplement époustouflant car il narre, joue, interprète et change de personnages au fil d’un incroyable et tragique western. Corps androgyne et visage d’ange, il est tour à tour Maria, Angelo le Couillon, sa meilleure amie, sa grand-mère, son institutrice…. A ses côtés, la musicienne Florence Sauveur, avec son violoncelle, son piano et son accordéon, crée une ambiance musicale d’une émotion poignante. Derrière eux, une rangée de vêtements colorés et suspendus à des cintres, qui s’accumulent comme la foule des personnages que Maria convoque. Une création magistrale.
Théâtre des Doms, à 16h15 (relâche le mercredi)
Cher Marcel, une ode amoureuse à Marcel Proust

©Sophie Hatier
Olivier Dutaillis, acteur et auteur, notamment de la pièce Albert et Charlie, qui faisait se rencontrer, en 2023, Einstein et Charlie Chaplin en plein coeur des conflits du XX° siècle, monte aujourd’hui sur la scène en nous proposant un délicieux spectacle en forme de conférence intime, dédiée à Marcel Proust. Le personnage qu’il incarne est l’ami fidèle d’un passionné de Proust, qui consomme son auteur favori à dose quotidienne. Le voilà, ce mois-ci, chargé d’arroser ses plantes, dans un appartement rempli de livres. Et notre héros s’interroge : pourquoi cet auteur, connu mondialement, a t-il sauvé la vie de cet ami ? Pourquoi La Recherche du temps perdu, sept tomes d’une prose incroyable, à contre courant de tout, auquel Marcel Proust dédia quinze années de sa vie, cette œuvre cathédrale, inspirée de la tétralogie de Richard Wagner avec ses thèmes et ses leitmotiv, est-elle devenue un chef-d’œuvre si précieux que certains se relisent des extraits entiers le soir avant de s’endormir, ou le matin pour se donner du baume au cœur ? Notre narrateur, mis en scène délicatement par Joëlle Seranne, nous prend par la main pour nous raconter cette vie de reclus, avec la musique de Reynaldo Hahn, de Ravel et de Fauré, et des capsules vidéos cocasses inspirées de courts métrages des années 1920. Avec des mots très simples, il nous révèle des informations croustillantes, tendres ou comiques, sur cet auteur asthmatique qui devait garder sa chambre, écrivait dans son lit, et recevait ses amis à 2h du matin. Sur la force de cet imaginaire, capacité extraordinaire qui lui permit, en 1907, âgé de 36 ans, de reconstituer les mondes de son enfance, de sa jeunesse, les affres des relations sociales, amoureuses, passionnelles, les affaires politiques noyées dans la superficialité trompeuse de la grande bourgeoisie de l’époque. Céleste, sa domestique fidèle, intervient aussi, se taillant amoureusement la part du lion. Et le narrateur, écrivain lui-aussi, de nous révéler, avec une admiration que nous partageons, la force du désir d’écrire et de faire œuvre, qui constitua le moteur brûlant de Proust. Marcel mourra épuisé en 1922, sans avoir la chance de voir les 7 volumes publiés de son vivant, mais en gagnant en 1919 le prix Goncourt. Quelle incroyable destinée !
La Luna, à 11h25
La Folle journée ou le mariage de Figaro : une bombe de modernité

@Louie-Salto
Léna Breban, metteuse en scène au grand talent et à l’énergie solaire, a trouvé en Philippe Torreton un Figaro en or, humain et émouvant, sincère et courageux, pour monter la célèbre pièce de Beaumarchais qui résonne aujourd’hui comme un brûlot libertaire, féministe et hautement social. Il est vrai que la pièce est plus souvent montée à l’opéra, avec Les Noces de Figaro de Mozart, qu’au théâtre, où la richesse de l’intrigue, la qualité des répliques et la longueur des fameuses tirades de Figaro, qui mêle la philosophie au pragmatisme, a de quoi faire peur aujourd’hui. Quel bonheur donc de réentendre cette pièce explosive, qui voit un valet, enfant trouvé qui possède déjà mille vies dans sa besace, revendiquer de pouvoir se marier avec Suzanne, la camériste de la Comtesse, alors que cette dernière se voit délaissée par le Comte qui a droit de cuissage, de vie et de mort sur Suzanne, qu’il pense posséder ! Dans ce tourbillon comique qui détaille les injustices criantes d’une société basée sur la domination de la gente noble et masculine, les personnages rivalisent tous avec des tempéraments de feu et une parole cinglante. Marceline, jouée royalement par Annie Mercier, vient réclamer son dû pour prêt d’argent à Figaro, qu’elle veut épouser. Chérubin, formidable Antoine Prud’homme de la Boussinière, s’amuse comme un adolescent avec la Comtesse, Grétel Delattre, trop malheureuse avec son mari pour résister aux assaut du page. Quand à Suzanne, interprétée de manière magnifique par Marie Vialle, elle se défend du Comte en servant la Comtesse, en en tricotant un amour fou pour son Figaro ! Dans des décors en construction, le portrait du couple noble trône au centre de la scène, comme s’il allait bientôt être torpillé par la Révolution de 1789. Grégoire Ostermann campe ce chef de famille avec une élégance perverse, une douceur assassine. Mais ils sont tous épatants, les comédiens de ce spectacle qui va, comme son titre l’indique, à une allure « folle », pour notre immense bonheur. Et pour celui de Figaro et de Suzanne, qu’on aura jamais vu si heureux et amoureux que dans cette création.
La Scala Provence, à 18h30 (relâche le lundi)
Une heure à t’attendre, où la vertigineuse radiographie du couple

©-Patrick-CARPENTIER
Deux hommes se retrouvent face à face dans des fauteuils en cuir vieilli d’un petit appartement parisien. Le premier, en jean et blouson décontracté, découvre le logement qu’il a réservé sur la plate-forme Airbnb, surpris de découvrir le second, costume élégant et long manteau taillé sur mesure, installé dans un fauteuil club. Qui est cet homme qui l’attend dans le noir ? Est-ce le propriétaire qui accueille son hôte ? Après des balbutiements, politesse puis piques ironiques d’usage, arrosés de quelques verres de très vieux whisky, les deux hommes s’expliquent, en se révélant tous deux amoureux de la femme qu’ils attendent. Le premier étant son amant, qui a décidé de la quitter ce soir, le second étant son mari, un avocat d’affaires qui accumule les profits, mais ne semble avoir de richesse que sa propre femme. Que vont se dire ces deux garçons, d’abord rivaux, puis complices et acteurs d’une même relation amoureuse ? La pièce de Sylvain Meyniac aborde avec beaucoup d’intelligence et de malice la question de la relation amoureuse, du couple, en disséquant surtout la part de fantasme, de rivalité et de vérité inhérentes toute relation. Pour servir ce dialogue exigeant, aux méandres surprenants, aux retournements de situation captivants, deux fauves, Thierry Frémont (l’amant) et Nicolas Vaude (le mari) déploient la perfection de leur talent d’acteurs, avec une finesse, une écoute et une sincérité remarquables. Delphine de Malherbe les met en scène avec une sobriété parfaite dans un décor de Catherine Bluwal. Le spectacle est épatant de bout en bout.
Théâtre du Chêne noir, à 19h (relâche le mardi)
Hélène Kuttner
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