“Gahugu Gato (Petit Pays)” au Festival d’Avignon : magnifique tentative artistique de réconciliation
© Christophe Raynaud de Lage / Festival d'Avignon
Frédéric Fisbach et Dida Nibagwire proposent au Cloître des Célestins une adaptation théâtrale et chantée du célèbre roman de Gaël Faye Petit Pays. Onze comédiens et musiciens rwandais, ainsi que Frédéric Fisbach, racontent avec douceur et tendresse la déchirure familiale d’un jeune garçon, qui voit au même moment son pays dévasté en 1994 par un génocide, en l’espace de trois mois. Un spectacle très réussi et dont la puissance émotionnelle continue à vibrer en nous longtemps.
« L’Afrique a la forme d’un révolver »

© Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon
Comment évoquer un génocide, qui est partie prenante de l’histoire française post-coloniale, et qui a décimé près de 100 000 Tutsis dans un pays, le Rwanda, grand comme deux cantons suisses en l’espace de trois mois ? Si le Rwanda est aujourd’hui en pleine reconstruction, si de l’herbe verte repousse sur les charniers de terre brûlée à ciel ouvert, si ce pays de 14 millions d’âmes est aujourd’hui soutenu, selon le metteur en scène Frédéric Fisbach, par un élan collectif de réinvention d’une nouvelle société, basée sur le soin, l’attention à l’autre et à la nature, le pardon reste impossible. Et c’est sans doute cette complexité humaine, cet élan vital et ce besoin de donner un sens à une nouvelle réconciliation qui ont poussé le metteur en scène, découvrant la puissance fulgurante du roman Petit Pays de Gaël Faye, d’adapter l’œuvre avec la complicité artistique de l’auteur qui vit à Kigali. Depuis 2021, au cours de plusieurs voyages, le projet d’adapter Petit Pays fait sens, et la rencontre avec Dida Nibagwire, actrice, productrice et cofondatrice de L’Espace à Kigali, un centre culturel qui accueille des centaines d’artistes, se révèle déterminante. Joué et répété dans les collines non loin des charniers, dans la lumière naturelle d’un décor brut, le spectacle poursuit aujourd’hui sa route à Avignon, joué et chanté dans trois langues : le kyniarwanda, l’anglais et le français.
Comment faire pour vivre ensemble ?

© Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon
Sur le plateau abrité de manière magique par la présence d’arbres centenaires, dans un cloître qui possède aussi quelques centaines d’années de vie, les onze comédiens et musiciens prennent place. Dans de sublimes lumières, leurs vêtements orangés, jaune et ocre, forment un camaïeu d’harmonie chaudes. Le ton est donné, et ils sont devant nous pour nous raconter cette histoire de fantômes et de revenants, d’enfants et de tantes, vivants et morts unis dans un même chant : celui qui chante la mémoire et les ruines de corps sacrifiés. Une guitare, un inanga et une flûte soutiennent avec un rythme répétitif, comme le cycle de la vie, le déroulement des scènes et des paroles. Gaby, le narrateur, prend enfin la parole, mais tous deviennent tour à tour Gaby, le narrateur. D’ailleurs, la mise en scène, d’une grâce totale, évite intelligemment l’écueil de la narration simplifiée. La parole, le discours direct, et le récit indirect, sont pris en charge par tous, les jeunes, les plus âgés, les femmes ou les hommes. En revanche, le Gaby de 9 ans, qui voit sa mère repartir au Rwanda, quand il reste avec sa soeur et son père français au Burundi, apparait bien sur le plateau : il a le corps nerveux de ce jeune acteur danseur formidable, tête d’enfant mais corps qui marche en crabe, saisi de tremblements et de pulsions démoniaques à l’annonce de la séparation de ses parents.
Un spectacle choral

© Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon
Et c’est ce qu’il y a de très beau dans ce spectacle choral, dont le récit, construit sur une sélection de passages les plus emblématiques, procède par couches successives, dans une adresse constante à nous public. La mère de Gaby est partie, et c’est elle, figurée par une drôle de marionnette géante à la chevelure de feu, placée devant la régie, à qui les personnages s’adressent. Dans cette atmosphère de bienveillance, où ancêtres et jeunes gens cohabitent en se protégeant mutuellement, les personnages se lèvent, s’assoient, chantent ou se déplacent. On évoque de nouvelles élections, le nationalisme refait surface dans un pays victime de la ségrégation ethnique depuis les années 1930, alors que les colons belges reprennent à leur compte la théorie raciale des colons allemands, héritée des thèses de psycho-morphologie de la fin du 19° siècle. Les Tutsis, peuple de propriétaires de bétail, les plus fortunés, se reconnaissaient grâce à la finesse de leur nez, contrairement aux Hutus, dont le nez était épais. Dans les oreilles de Gaby, les théories raciales sont monnaie courante, la violence s’échauffe dans les rues, et l’harmonie sociale, familiale laisse place à une tension grandissante. En Afrique, « la paix ne dure que très peu et la terre lâche ses hordes de hyènes. Le bonheur ne se voit que dans le rétroviseur ! ». Et c’est aussi l’intérêt de ce spectacle d’une beauté musicale surprenante, de nous laisser bercer, avant que cette berceuse ne soit balayée, à la fin du spectacle, par la sanglante folie criminelle. On ne voit rien, mais lorsque tous les visages et les corps, au sol, apparaissent pétrifiés, seule la voix du jeune Gaby, blanche d’émotion, devient un appel au secours. « Après nous, s’il vous plaît, inventez un nouveau pays. » clament tous les personnages du spectacle dans la nuit d’Avignon. En tous cas, cette parole est parfaitement et heureusement entendue.
Helène Kuttner
Articles liés

“Vade Retro” le nouveau film d’Antonin Peretjatko en salle le 31 décembre
Norbert, vampire de bonne famille aristo-réac, doit trouver une femme de sang pur à mordre et à épouser s’il veut survivre et ne pas être renié par ses parents. Envoyé en bateau au Japon, accompagné de son valet gardien...

Célébrez le Nouvel an avec l’Orchestre Lamoureux à la Salle Gaveau
L’Orchestre Lamoureux vous invite à célébrer la nouvelle année à la Salle Gaveau avec une série de concerts aux accents viennois. À la fois soliste et cheffe d’orchestre, la brillante musicienne italienne Vanessa Benelli Mosell mène la danse, du...

“Tout va mâles ?” le nouveau spectacle d’Alex Goude au Grand Point Virgule
Après, « Théatrouille », « Timéo » et « Ménopause », venez découvrir le nouveau spectacle musical d’Alex Goude, dédié aux problèmes des hommes… Thomas, 58 ans, PDG d’une agence de pub, Romain, 42 ans, bibliothécaire, Jérémy, 25 ans, coach sportif, n’ont absolument rien en...





