0 Shares 1340 Views

Je suis le vent : radical et charnel

Hélène Kuttner 10 juin 2021
1340 Vues

©-Tim-Wouters

Deux hommes s’embarquent sur un bateau dans une mer agitée. La tempête amène la tragédie mais Laurel et Hardy nous sauvent du désespoir. Entre Beckett et Sarraute, Jon Fosse compose une fable métaphysique ou de grands enfants jouent à se faire peur. Tg Stan et Maatschappij Discordia s’unissent au Théâtre de la Bastille pour un moment singulier et fort.

Ils sont face à nous, assis sur des chaises avec leurs costumes sombres et leurs souliers vernis. Des bouteilles d’eau et de bière trônent à leurs pieds, la conversation s’engage entre ces deux amis qui se retrouvent après une longue absence. Damiaan De Schrijver, carrure imposante et rire jovial, porte la barbe fournie et les mains généreusement ouvertes. Son acolyte, Matthias de Koning, est aussi sérieux que Buster Keaton, le visage impassible et le discours hésitant. Que se racontent-ils ? Le goût du risque, du danger, du déséquilibre pour l’Un, attiré par l’abîme de la mer et les gouffres du vent. Les hommes et le bruit l’ennuient, mais en même temps les mots le trahissent comme des pierres trop lourdes. L’autre, terrien et pragmatique, ne cesse de l’interroger, de lui faire préciser sa pensée, ses désirs. Pourquoi cette détestation des autres ? Des mots qui trahissent ? Du bruit qui meurtrit ? Ou aller ? Comment s’explique cette béatitude de solitaire alors que la vie est grouillante, partout, et que le vin est bon ?

Les deux acteurs, magnifiques, déroulent les méandres de ces bribes de mots et de silence, d’hésitations et de moqueries, qui semblent tout droit sorties d’une oeuvre de Nathalie Sarraute pour la forme et de Samuel Beckett pour le fond. On fait semblant de lâcher les amarres, d’amarrer le bateau, de tanguer sur une mer déchaînée que la mort poursuit sans cesse. Vivre ou mourir, dormir peut-être ? Et voici qu’Hamlet, prince du Danemark, se retrouve sur cette mer de Norvège, jonchée en son fond de lourdes pierres grises. Les chaussures vernies des acteurs ne cessent de crisser sur le plateau, au rythme des images de film de Laurel et Hardy. On rit, car il ne faut pas sombrer et que la lumière se rallume pour une discussion enjouée avec les acteurs.

Hélène Kuttner 

En ce moment

Articles liés

“Le Crime de Lord Arthur Savile” d’après l’œuvre d’Oscar Wilde à la Comédie Saint-Michel
Agenda
31 vues

“Le Crime de Lord Arthur Savile” d’après l’œuvre d’Oscar Wilde à la Comédie Saint-Michel

Au cours d’une soirée mondaine à Londres chez l’extravagante Lady Windermere, Lord Arthur Savile se fait lire les lignes de la main par un chiromancien. Mais voilà que celui-ci lui annonce qu’il va commettre un crime ! Refusant de...

“Au nom du ciel” ou les oiseaux de paix de Yuval Rozman
Spectacle
269 vues

“Au nom du ciel” ou les oiseaux de paix de Yuval Rozman

Comment parler avec humour et détachement du conflit israélo-palestinien qui dure depuis des décennies ? Dans une fable pleine d’ironie et de malice, l’artiste Yuval Rozman s’efforce de nous faire prendre une distance philosophique et céleste avec un dialogue...

Roberto Fonseca et Vincent Segal dévoilent “Nuit Parisienne” extrait de leur nouvel album à venir
Agenda
171 vues

Roberto Fonseca et Vincent Segal dévoilent “Nuit Parisienne” extrait de leur nouvel album à venir

Le pianiste cubain Roberto Fonseca et le violoncelliste français Vincent Segal dévoilent “Nuit Parisienne”, leur premier single en duo, annonçant la sortie de leur album “Nuit Parisienne à la Havane”, prévu le 30 janvier 2026 chez Artwork Records &...