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Jessie Varin : “Mon conseil : la pugnacité quoi qu’il arrive”

Maliga Boyer 12 février 2021
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Portrait de Jessie Varin, Directrice Artistique du Théâtre de La Nouvelle Seine ©Laurence-Guenoun

© Laurence Guenoun

D’hôtesse d’accueil à directrice artistique de La Nouvelle Seine, péniche théâtre amarrée au 3 Quai de Montebello en face de la cathédrale Notre-Dame de Paris, Jessie Varin retrace pour nous son parcours plus qu’accompli. Découvrez le portrait de cette femme inspirante et pleine d’humour qui n’a pas froid aux yeux.

Pouvez-vous nous expliquer votre parcours et comment il vous a amenée à votre poste de directrice artistique ?

J’ai eu un parcours atypique, bachelière à 17 ans, je ne savais pas quoi faire. J’ai étudié à l’université de Rouen en sociologie jusqu’à la maîtrise, et je me suis spécialisée en culture urbaine. Je me suis intéressée à la stigmatisation des jeunes des quartiers, à la subculture et à la façon dont l’engagement culturel amène à changer le destin des gens. Ensuite, j’ai travaillé pour des festivals, tout ça en tant que bénévole. Puis je suis partie à Paris pour élargir mon champ des possibles. J’ai fait une école de direction artistique et un super stage au Festival Paris Cinéma, qui n’existe plus, dans lequel j’étais chargée de récupérer les courts métrages. De là, j’ai créé ma première entreprise personelle, “Les Petites histoires d’Eux” où je projetais des films de jeunes réalisateurs au Jamel Comedy Club. N’arrivant pas à vivre du CNC, j’ai travaillé dans la restauration puis j’ai trouvé un job au Point Virgule comme hôtesse. À l’époque, l’humour était un peu désuet. En faisant la caisse, j’ai eu un coup de cœur et j’ai changé mon point de vue sur l’humour grâce à des artistes différents tel que Ben avec son humour absurde ou Alex Lutz. J’ai découvert que l’humour pouvait être classe et dénonciateur. En 5 ans, je suis passée d’hôtesse de caisse à chargée de communication. J’ai tout appris là-bas. Puis j’ai vu cette péniche à l’abandon depuis un an, appartenant à un couple de magiciens. À 30 ans je la visite pour l’acheter, or je n’ai aucun business angel. C’est là qu’un investisseur se présente, Stéphane Nomis ancien judoka, il visite la péniche et c’est le coup de cœur. J’ai recontacté tous les artistes les plus “rebelles” pour m’accompagner dans ce projet un peu fou. Il manquait de théâtre  “indé” géré par quelqu’un de jeune et ça faisait la différence, car tous cherchaient un lieu d’expression libre. On a monté une programmation très féminine et “indé” avec Audrey Vernon, Blanche Gardin

La Nouvelle Seine a un programme très varié, allant du stand-up au cabaret burlesque. Comment repère-t-on un talent ?

Par le parcours classique, c’est-à-dire un travail de repérage en passant au peigne fin tous les spectacles dans les petits théâtres parisiens, les plateaux de stand-up, etc. Le Festival d’Avignon est un événement crucial, on voit jusqu’à 5 spectacles par jour et il nous a beaucoup manqué cette année. L’idée du cabaret burlesque par exemple vient de Valentina del Pearls, fondatrice du Burlesque Klub et productrice de spectacles, qui a adoré la salle en photo. Nous nous sommes donc lancés dans l’aventure et maintenant, c’est un peu le rendez-vous phare. La question à se poser est : comment veut-on divertir ? Quelle histoire pourrait intéresser ? Parfois c’est une rencontre, un coup de cœur, et ça commence.

Théâtre de La Nouvelle Seine

© Christine Coquilleau

Que faisiez-vous le 14 mars 2020, lors de l’annonce de la fermeture des théâtres, et comment l’avez-vous vécue ?

J’étais chez moi devant la télévision, avec mon conjoint, car on travaille tous les deux dans la culture. Je ne cache pas que j’ai versé ma petite larme. Je venais d’être jeune maman et je reprenais mon poste, j’étais à fond, je revenais avec une très belle programmation. Cette annonce a été un coup de massue, surtout que c’était une année charnière mais je n’ai jamais pensé que ça allait durer jusqu’à maintenant. C’est une double peine pour nous car la Nouvelle Seine est un théâtre et un restaurant, j’ai mal au cœur rien que d’en parler. On ne pensait pas que l’année allait être autant sacrifiée. On a attendu septembre, on a refait une programmation. C’est très compliqué à gérer, ça fait 10 ans que je bosse et c’est la première fois qu’une telle situation arrive.

© Laurence Guenoun

Mi-novembre 2020, le débat “essentiel ou non-essentiel” est lancé. Comment se sent-on quand on insinue que votre corps de métier n’est pas essentiel et  comment, en tant que jeune directrice artistique dans cette période inédite, parle-t-on avec ses artistes ?

Je ne vais pas le cacher, lors du premier confinement j’ai eu 48h de stupeur. Impossible de prendre mon téléphone et de communiquer, impossible de parler aux artistes. Bien sûr, je leur ai tous envoyé un message d’encouragement pour leur dire qu’on serait encore là après, qu’il n’était pas question de difficulté financière ou de prendre de décision grave. On s’est tous appelés, on a vu ça comme une pause. Je leur ai dit qu’on reprendrait tranquillement à partir de septembre mais sans trop s’engager car on avait des suspicions. Il faut prendre cette situation avec philosophie. Le non-essentiel se comprend par rapport à d’autres professions comme celle de médecin, il faut relativiser. Je n’ai pas été vexée car je sais comment nos métiers artistiques vont évoluer. La culture a une place très importante en France. Pour exemple, les dix personnalités préférées des français sont des artistes. Malheureusement, la nourriture de l’esprit passe après celle de la consommation dans les centres commerciaux. Il est important de se mobiliser et de se faire entendre. J’ai envie de me révolter mais je n’ai plus l’énergie. Ma manière de communiquer sera à travers les artistes !

Si vous pouviez voyager dans le temps, que diriez-vous à l’enfant que vous étiez ?

J’aurais aimé trouver une interview de moi il y a 8 ans, qui me lançais dans un grand projet. J’aurais aimé m’entendre car c’était utopique. J’étais juste heureuse de faire ce que j’aimais. Et je me dirais : “Fais-toi confiance, n’aie pas peur de l’effort ! Patience et crois en ta bonne étoile”. Voilà : patience et travail. Et aussi : “Sois gentille avec les gens” car quand j’étais caissière au Point Virgule, qu’on se le dise, les gens ne me respectaient pas. Bref, je ne dirais que ce qui offre une énergie positive.

Quelle est l’anecdote la plus drôle qui vous soit arrivée depuis le début de votre carrière ?

Je n’ai pas d’anecdote particulièrement drôle, mais l’expérience de ma carrière reste tout de même la crue de la Seine qui a fait remonter mon bateau à plus 6 mètres il y a 2 ans. Il était inaccessible ! Je recevais Roman Frayssinet et Eddie Izzard qui venaient directement de Londres pour jouer deux mois chez nous. J’ai dû rapatrier tous nos spectacles dans des théâtres, j’étais en panique. Je pleurais tous les jours (rires). Suite à ça, la péniche a eu un problème d’électricité donc on a dû tout annuler. Encore une fois t’es en solo, c’est ta responsabilité. Ce sont les aléas de créer une scène sur un bateau, il faut intégrer les éléments de la nature. Pareil quand Notre-Dame a brûlé !

Vous avez un podcast, Pan Pan Culture, dans lequel vous recensez tous les “bons plans” culturels de la région parisienne avec vos chroniqueuses. Est-ce un choix d’être entourée d’une équipe exclusivement féminine ?

On me dit pareil de la programmation de La Nouvelle Seine. J’aime être entourée de femmes talentueuses, inspirantes. Mon équipe est composée de Rossana Di Vincenzo, journaliste chez Télérama, Caroline Drogo, illustratrice qui a créé l’identité visuelle de La Nouvelle Seine, et Sophie Garric, actrice et créatrice hors pair. Elles sont toutes amies, j’aime leurs goûts et c’est tout naturellement que j’ai fait appel à elles pour mon podcast.

Quelles sont vos inspirations ?

Je suis une fan inconditionnelle de Beyoncé. Elle représente l’empowerment, elle a apporté beaucoup à la culture afro-américaine. Pourquoi pas un jour l’inviter à La Nouvelle Seine ! Avec l’emplacement et la beauté du lieu, il y a moyen de gratter des choses intéressantes. Il faut attirer les stars par le restaurant (rires).

Votre parcours est impressionnant, vous avez monté les échelons avec beaucoup de rapidité pour arriver là où vous êtes. Vous êtes un modèle pour toutes les jeunes générations qui veulent travailler dans la culture. Auriez-vous un conseil à leur donner ?

Mon conseil : la pugnacité quoi qu’il arrive. Le secteur de la culture est un secteur qui peut paraître précaire au début, surtout quand vous êtes payé au SMIC. Encore plus quand vous êtes indépendant, car vous pensez d’abord à vos employés plutôt qu’à vous. Votre curiosité et votre relationnel sont vos forces. Allez à la rencontre des gens, soyez culotté, soyez humble. Laissez-vous le temps de vous installer, comme les techniciens qui ont commencé à La Nouvelle Seine et qui accompagnent maintenant de grands artistes dans leurs tournées. Je pense également à mon assistante de direction, Méryl Catella, qui pendant deux ans était en stage et a travaillé d’arrache-pied. Les petites structures offrent des richesses.

Pouvez-vous partager vos projets en cours ou à venir ?

Absolument, j’ai deux projets. Premièrement, la programmation 2021 que je monte tranquillement mais sûrement, et je peux déjà vous dévoiler quelques noms : Fanny Ruwet, Audrey Vernon avec son spectacle Billion Dollar Baby… Une superbe programmation qui a du sens ! Le deuxième projet est une collaboration avec une nouvelle cheffe en cuisine. Elle nous prépare une carte exceptionnelle, que ce soit au restaurant comme au bar.

Plus d’informations sur le site de La Nouvelle Seine.

Propos recueillis par Maliga Boyer

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