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Les Vagues – Théâtre de la Colline

3 octobre 2011
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Les Vagues - Théâtre de la Colline

Ce terme lui paraissait vraisemblablement plus proche de ce qui ne différenciait plus tant la prose de la poésie. Ainsi l’auteur n’a créé ni action, ni dialogue. Les six personnages sont les narrateurs, comme autant de voix exprimant une conscience à la fois individuelle, personnelle et commune. Tour à tour, ils « disent » leurs états d’âme et la souvent lucide analyse de leur propre existence.

Défi que d’adapter une telle œuvre au théâtre, défi relevé avec finesse, délicatesse et brio par Marie-Christine Soma. Elle met en scène un conte fragile de l’éphémère, la vacuité et la beauté fulgurante et/ou dérisoire par l’appréhension du temps, matérialisant par 12 comédiens pour 6 personnages, le temps de la jeunesse et de la vieillesse.

Six jeunes gens, trois hommes et trois femmes, se quittent le jour de la sortie du collège. Effrayés et enivrés par cette belle page blanche à remplir, chacun se découvre sur le chemin alors emprunté. Bernard est préoccupé par la création de belles phrases ; Louis recherche la reconnaissance et le succès ; Neville désire l’amour à travers une succession d’hommes ; Jinny est riche, sûre de sa beauté et de l’effet qu’elle produit ; Susan vit à la campagne, aux prises avec les émois et les doutes de la maternité ; Rhoda préfère la solitude, elle refuse les compromis et les faux-semblants. Avec plaisir, ils se retrouvent à différentes étapes de leur vie. S’ils communiquent, c’est dans leurs pensées silencieuses, comme si les mots du dialogue étaient une convention mal appropriée à la communion des âmes. Au centre des attentions, Percival est une figure mystérieuse et absente. On apprend à découvrir ce personnage à travers les évocations des six, le fantasme de ce héros qui mourra quand ils seront au milieu de leur vie. Sa pensée plane alors comme le fantôme d’une fin inéluctable. Incertains et fouillant sans cesse leur propre perception de l’autre et de soi, ils transcendent leur quotidien par l’observation lyrique d’une nature envoûtante.

Dans son Journal d’un écrivain, 1929, 4 janvier, Virgina Woolf s’interrogeait : « La vie est-elle très solide ou instable ? Je suis hantée par ces deux hypothèses contradictoires. Cela dure depuis toujours… Mais elle est aussi transitoire, fugitive, diaphane. »

Metteur en scène, Marie-Christine Soma signe également la création lumière, sa première profession. Une sensibilité qui l’a sans doute menée vers ce texte aux multiples descriptions d’instants de nature. Ainsi des videos sont constemment projetées et habillent la scène de tableaux animés qui laissent par instants s’échapper, à l’instar des personnages, dans le souffle du vent sur les feuilles, l’onde à la surface de l’eau…

Les personnages sont tous vêtus de couleurs pâles, dans les tons gris clairs. Leur mise n’est pas forcément anglaise, pas forcément début XXème… On peut-être partout, de tout temps.

Pour ce drame psychologique, un sentiment de fragilité et d’insaisissable s’installe dans une scénographie très épurée : quelques chaises et juste des structures évoquant des pièces communiquant par des portes. Un tulle compartimente ces lieux pour révèler les couches de conscience et le moi en devenir. Les personnages se tiennent dans l’une ou l’autre pièce, chacune d’elle symbolisant efficacement les strates du temps. D’abord, à l’orée de leur vie, seuls sur scène, les six personnages sont joués par de jeunes comédiens. Lorsque, arrivant à l’âge adulte, ils se retrouvent pour un dîner, ils sont assis à une grande table à la nappe immaculée et parsemée de bougies. Au-dessus, un grand néon produit une blancheur puissante, presque agressive et semble figurer le temps à son zénith. Là, ils apparaissent alignés, aux prises avec leurs problématiques personnelles mais unis dans une même recherche et s’interrogeant tous sur Percival qui ne viendra pas. Derrière, dans l’autre « pièce », la seconde moitié de leur vie attend déjà ; les six autres, plus âgés, répètent les phrases de leur jeune double et forment un choeur, une méloppée feutrée, leur propre écho.

Par une direction d’acteur magistrale, Marie-Christine Soma s’acquitte d’une subtile exploration des consciences. Elle révèle la force et le pouvoir de la dramaturgie, puisant dans un texte composé de soliloques toute sa sève théâtrale. Elle tisse un dialogue silencieux car il n’est jamais d’adresse directe et cependant leurs « presque » monologues – ils ne sont pas seuls sur scène –, se répondent, proposant des alternatives aux interrogations de chacun. Le risque eût été, pire qu’un somniphère, de noyer le spectateur de mots. Ces derniers sont ici formidablement vivants : c’est même une mise en bouche que propose Jean-Damien Barbin avec son goût pour la grande prononciation et les intonations graves et posées ; le jeune Jean-Charles Clichet révèle l’humour de l’auteur par une ironie inattendue ; Valentine Carette est une jeune Rhoda toute en intensité. En point final, Marie-Christine Soma rejoint le plaisir de Virginia Woolf à ménager à ses personnages une sortie parée de sublime et d’emphase : elle met en scène la splendeur du « Play-poem », l’avalanche de mots se détachant en poudreuse et l’ultime tirade de Bernard, par Jean-Paul Delore, est un instant inoubliable, une transe lucide.

Gaëlle Le Scouarnec

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Les Vagues

Du 14 septembre 2011 au 15 octobre 2011
Du mercredi au samedi à 20h
Le mardi à 19h
Le dimanche à 16h

D’après le roman de Virginia Woolf

Adaptation et mise en scène Marie-Christine Soma

Avec Anne Baudoux, Valentine Carette, Frédérique Duchêne, Marion Barché, Jany Gastaldi, Laure Gunther et Jean-Damien Barbin, François Clavier, Jean-Charles Clichet, Jean-Paul Delore, Antoine Kahan et Alexandre Pallu

Réservations : 01 44 62 52 52

Théâtre de la Colline (Petit Théâtre)
15, rue Malte-Brun
75020 Paris

www.colline.fr

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