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Molière dans tous ses états à la Comédie-Française

© C. Raynaud de Lage, coll. CF

Au Studio, Anne Kessler se met en scène pour endosser une dizaine de personnages féminins qu’elle maquille avec une élégance folle de ses dessins faussement naïfs, tandis qu’au Vieux Colombier Alison Cosson et Louise Vignaud mettent en parallèle Molière et Mikhaïl Boulgakov, l’auteur du Roman de Monsieur Molière, dans leur rapport au pouvoir et à la censure. 

Ex-traits de femmes : Anne Kessler comédienne danseuse du verbe

Dans le décor d’une maisonnette de bois blanchi, une petite fille gracile nous prend par la main pour nous conter l’histoire des héroïnes qui illuminent sa vie. Anne Kessler, sociétaire de la Comédie-Française depuis 1994, mais aussi metteure en scène, peintre et vidéaste, a choisi huit personnages féminins de Molière qu’elle interprète avec une beauté et une simplicité troublantes, dans le fondu enchaîné d’une narration universelle qui exprime la vitalité, le courage, l’intelligence et l’intensité de ces femmes. Corps de gymnaste dans une robe en tulle noire avec des pieds et des mains qui portent aussi des dessins de visages, la comédienne est d’abord la petite Louison avec son col de dentelle blanche, alors que l’une des mains porte le visage sévère d’Arnolphe dans L’Ecole des Femmes. Le brio de cet exercice de marionnettiste, sans masque, et avec pour tout artifice une baguette et un bouquet de fleurs, fait que le spectateur est conquis dès le début de la représentation. Sur le mur du fond, un carré blanc se charge de projections, pétales de roses, silhouettes de personnages en forme d’ombres chinoises enfantines. Il y a dans cette intimité du lieu, cette simplicité d’incarnation complice avec le public une totale réussite qui s’apparente au partage d’un conte. 

Une heure de vies et toutes les vies

© C. Raynaud de Lage, coll. CF

Louison l’enfant punie, fouettée, donnée pour morte et qui ressuscite avec la candeur insolente de la vérité qui blesse, fait ensuite place à Agnès, Armande et Henriette des Femmes Savantes, Arsinoé et Célimène du Misanthrope, Elvire dans Dom Juan, Madame Pernelle dans Le Tartuffe et Dorine. Jeunes ou vieilles, séduisantes, dépitées ou revêches, les femmes de Molière sont nos soeurs, nos mères, nos amies ou voisines. Anne Kessler, qui conserve une délicatesse dans son expression et se contente de colorer ses propos sans jamais verser dans une outrance mélodramatique, jouant d’un voile, d’une coiffe, ou d’une posture, parvient à nous rapprocher au plus près de l’humeur, de l’émotion de chacune de ces femmes. Interprétant souvent les deux personnages dans un dialogue, la compréhension de chacun d’eux en est enrichie, démultipliée. La petite fille, l’enfant, n’est jamais très loin de la femme mûre, dont le génie de Molière, par l’ingéniosité de son verbe, réunit en une seule réplique. Anne Kessler en restitue cet art total par son travail d’orfèvre.

Le crépuscule des singes : le roman de Molière avec Boulgakov

© C. Raynaud de Lage, coll. CF

Filer les deux trajectoires de Molière, né en 1622 à Paris, et de Boulgakov, né en 1891 à Kiev, et auteur malheureux du Roman de Monsieur de Molière était intéressant compte-tenu de leur génie et de leur rapport terrible au pouvoir et à la censure, qui ont tout deux muselé leur liberté et leur vitalité. Le projet d’Alison Cosson et de Louise Vignaud, qui débute dans l’appartement de l’auteur russe avec son épouse, luttant contre le froid et la faim, dans l’attente d’un coup de téléphone qui leur offrirait l’exil en Europe, est une commande d’Eric Ruf qui souhaitait monter des oeuvres cernant le personnage de Molière. On voit ainsi, après le tableau de l’appartement misérable de Boulgakov, celui de Molière entouré de Madeleine Béjart, de Boileau et de Chapelle, complices dans la révolte et l’appel de la créativité et luttant contre les diktats de l’Eglise et des Jésuites. C’est une belle idée que de figurer ainsi le Russe Boulgakov, assez seul avec son épouse dévouée, mais entouré d’amis lointains, face à un Molière déjà atteint de pneumonie et amoureux de la jeune Armande Béjart, chef de troupe et protégé en partie du Roi, mais qui ne peut empêcher la censure de Dom Juan ni du Tartuffe. 

La mise à mort de l’art

© C. Raynaud de Lage, coll. CF

En 1929 en Union Soviétique, l’artiste Boulgakov se trouve face à la censure de la police soviétique : ses pièces ne seront plus lues ni représentées. Dans un tourment de déprime dévastatrice, il se met à penser à Molière, à La Fontaine et à Boileau, lumières du passé qui reviennent le visiter dans la pièce qui nous est présentée. Des extraits de pièces de Molière et des romans et pièces de Boulgakov refont surface, on ne sait plus qui écrit quoi, d’autant que les mêmes comédiens traversent les 300 ans qui séparent les vies des deux auteurs. Pierre-Louis Calixte incarne l’auteur russe du Maître et Marguerite et Nicolas Chupin celui de Molière. Mais c’est Coraly Zahonero qui irradie dans le rôle des deux épouses, Elena et Madeleine, ainsi que Thierry Hancisse, royal dans celui des censeurs autoritaires de chaque siècle. Leur apparition fait décoller une intrigue trop sage qui peine à faire dialoguer les deux artistes malgré de beaux moments de théâtre, notamment la scène où Elena se trouve face au mur de photographies des artistes mis au ban du régime soviétique. 

Hélène Kuttner

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