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“Tout le monde savait” : Sylvie Testud magistrale jeune femme martyrisée

Hélène Kuttner 20 octobre 2022
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© Lisa Lesourd

Au Théâtre de l’Œuvre, la comédienne Sylvie Testud incarne Valérie Bacot, une mère de famille martyrisée par son mari durant plus de vingt ans et qui a fini par le tuer, avant un procès où, condamnée à la prison, elle finit par être libérée par la cour. La comédienne, dirigée avec maestria par Anne Bouvier, est tout simplement bouleversante de sincérité dans une pièce inspirée de son récit autobiographique sorti en 2021 aux éditions Fayard.

Tout le monde savait

C’est une histoire incroyablement vraie, que l’on a du mal à entendre tant la souffrance de l’héroïne, la cruauté de son agresseur conjugal et la passivité de tout un village sont poussées à une extrémité intolérable. Il faut beaucoup de courage et de détermination pour faire un spectacle de cette terrible histoire qui laisse une femme, à quarante ans en 2017, brisée en mille morceaux mais libre. Anne Bouvier met en scène Sylvie Testud, qui partage la finesse et la blondeur de son héroïne, incarner le monologue écrit par Elodie Wallace, adapté très fidèlement du récit autobiographie de Valérie Bacot. Dans une scénographie judicieusement claire, un coin cuisine stylisée jouxtant un espace de salon ou de jardin avec des balançoires, des ardoises au dos des chaises et sur les murs pour écrire à la craie les noms de tous ceux qui ont su sans parler -père, mère, enseignants, médecin, gendarmes, soeurs et frères – elle est cette créature juvénile et vibrante d’angoisse qui a subi, dès l’âge de 14 ans, un viol quotidien pratiqué par son beau-père.

“L’autre”

© Lisa Lesourd

C’est ainsi qu’il se nomme dans le spectacle et qui terrorise l’adolescente, tous les soirs, en l’obligeant à monter dans sa chambre en pratiquant sur elle, durant des années, des sévices sexuels qui abîment son corps. La mère, elle, qui la frappe déjà enfant, boit, mais laisse faire tranquillement son compagnon, qui finira par faire de la prison quand on aura appris ces faits. Ce qui ne l’empêche pas, sorti de prison, de recommencer à tisser de manière perverse son emprise sur sa belle-fille, qui finit enceinte et très jeune par devenir sa femme, privée de travail, privée de liberté, privée d’amis. Viols, violences, coups, pour finir par de la prostitution sauvage dans une forêt, à l’intérieur d’une voiture, planifiée par cet « Autre ». Malgré les quatre enfants du couple, qui en grandissant se rendent compte et l’encouragent à porter plainte à la gendarmerie, plaintes qui ne seront jamais prises au sérieux, Valérie subit et souffre, survit, comme un robot, déjà morte en elle et dans l’attente craintive d’être tuée, par son homme, pour de vrai. Elle retournera son arme contre lui.

Mauvais genre

© Lisa Lesourd

Ce texte limite, d’une puissance rare, d’une vérité cruelle et bouleversante, Sylvie Testud le porte comme un flambeau, au nom de toutes les femmes battues et violentées. Simplement vêtue d’un jean et d’un tee-shirt vert soyeux, éclairée subtilement par Denis Koransky, dans une scénographie de Jean-Michel Adam, elle est comme un animal blessé, fragile mais déjà assez forte pour supporter l’indifférence et les mauvais traitements, les mots qui tuent comme des missiles balistiques, la soumission à un bourreau qui carbure au sadisme et au pastis. La comédienne nous raconte tout cela, jouant alternativement le rôle de l’avocate, face public, avec des yeux bleus d’une transparence fébrile, en alerte perpétuelle face à ce qui peut encore lui arriver dans un univers de solitude infinie et de dépendance totale. Cette histoire s’est déroulée sans que personne ne bronche, dans une indifférence familiale et sociale coupables, il y a quelques années seulement. Merci à Sylvie Testud, à Anne Bouvier, à Elodie Wallace et à Valérie Bacot de pouvoir la faire revivre sur une scène, pour que chacun sache et que la parole circule.

Hélène Kuttner 

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