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Tristan Piotto : “Le drag est un art de la superposition”

© Virginie Quéant

Rencontre avec Tristan Piotto, un jeune homme ambitieux, metteur en scène et réalisateur, aujourd’hui président de La Casa de las Maryposas, maison drag à Bordeaux. 

Bonjour Tristan. Peux-tu te présenter en quelques mots ? 

Je m’appelle Tristan Piotto. Je suis metteur en scène, réalisateur et auteur. Avec un groupe d’artistes, qui sont aussi mes amis proches, nous avons créé une maison de création transdisciplinaire à Bordeaux qui se nomme “Le Grand Incendie”. Nous faisons principalement de l’art vivant mais souhaitons développer des projets dans d’autres domaines, comme le cinéma.

Comment définirais-tu ton parcours dans le monde du spectacle vivant ? 

Je trouve mon parcours riche, multiple et plutôt singulier. J’ai fait l’École des Beaux-Arts, ce qui m’a apporté une formation conséquente dans le domaine de l’image. C’est la raison pour laquelle je suis assez exigeant sur l’aspect esthétique de mes projets. J’ai eu la chance de rencontrer les élèves-comédiens de l’Académie de l’Union, École Nationale de Théâtre en Nouvelle-Aquitaine. J’ai beaucoup appris avec eux, ils m’ont fait confiance et m’ont associé très vite à leurs projets personnels. Je les ai suivis en tournée au Canada et à la Cartoucherie de Vincennes. Mon parcours a mûri à l’Université Bordeaux-Montaigne et surtout à La Manufacture de Lausanne (Suisse), où j’ai rencontré des artistes et des metteurs en scène de théâtre incroyables. Mais ce qui me comble le plus, c’est d’avoir trouvé mes compagnons de route, Alexis Larrieu, Zoé Klecka, Anastasia Lebedeva et Emilienne Edmond. Nous nous comprenons mutuellement. Travailler avec eux est une aubaine, ce sont des êtres magiques. C’est ma famille.

La Casa de las Maryposas

© Yan Moussu

Peux-tu nous parler de tes inspirations lors de la création d’un spectacle ? 

Je m’inspire de l’intime, du sensible, de mon propre parcours de vie ou bien de celui de mes comédiens. Je puise également dans la pop culture, l’histoire de l’art, les esthétiques contemporaines mais aussi les sciences. Mon travail artistique est volontairement chimérique et anachronique. Certaines références reviennent fréquemment : la peinture religieuse, Caravaggio, le mouvement dada, le surréalisme, le Tanztheater (la danse-théâtre) ou encore le cinéma fantastique.

Après un parcours d’études aussi diversifié que le tien, comment en es-tu arrivé à devenir président d’une maison drag ? 

Emilienne, costumière au sein du Grand Incendie, est aussi performeuse drag à la maison La Casa, sous le nom de Camomille. Il y a un an, je fréquentais les soirées drag mais en tant que spectateur novice uniquement. Maryposa, la mother, et Camomille cherchaient quelqu’un pour les aider à créer une structure juridique officielle pour leur maison drag. C’est à ce moment-là qu’ils m’ont proposé d’en devenir président et j’ai accepté. Au départ, j’avais seulement un poste d’administrateur pour l’association. Puis petit à petit, je me suis investi, à différents niveaux, pour finir par créer moi-même un personnage drag : La Présidente.

© Yan Moussu

Qu’attends-tu du mélange entre ton personnage de drag et ton parcours ? 

Mes projets artistiques ont toujours été très queer. Au sein du Grand Incendie, certains membres, ainsi que moi-même, sommes LGBTQ+ (lesbienne, gay, bi, trans, queer, pan, en questionnement…). Nos désirs, nos passions, et nos problématiques se retrouvent logiquement dans ce que nous produisons. La culture du drag influence énormément mon nouveau projet théâtral, qui se nomme Les fanatiques. Nous nous demandons ce que pourrait être une lecture “queer” des mythologies. Comme nous sommes dans la construction de personnages divins, la question du genre se pose dès le départ. Nos dieux seront-ils genrés ou agenrés ? De quoi serait fait l’être divin, auquel nous, jeunes humains de 2020, croirions ? Et si nous pouvions proposer une naissance du monde et des humains, en dehors de l’hétéropatriarcat, des normes sexuelles et de genre ? L’art du drag, que ce soit le travail du maquillage, du costume démesuré, du rapport au spectaculaire, me stimule considérablement pour mes prochains projets artistiques.

Quelle est ta vision du queer ? 

Ma vision du queer est d’invoquer le hors-norme et de bousculer les standards concernant le genre, l’amour, les relations, la sexualité et le pouvoir.

Pour toi, quelles sont les inspirations d’une drag queen ? 

Le drag est un art de la superposition, composé de plusieurs couches de sources artistiques et esthétiques. Chaque drag a ses références individuelles, collectives, sociales et culturelles. Pour chaque identité, il y a des sources multiples et singulières.

D’où viennent vos inspirations pour vos identités drag ? Êtes-vous influencés par des personnalités réelles ou fictives ? 

Dans La Casa, Camomille s’inspire de la comédie musicale et du burlesque, Carmen et Europa rendent hommage à la culture de leurs pays (Colombie et Royaume-Uni), Frida amène une touche kitsch et caricaturale, Maryposa développe des performances où le cabaret rencontre la danse contemporaine et Ren S. a un univers très multiforme. Pour ma part, mon personnage drag est encore en construction mais lors de ma dernière performance, j’avais opté pour un style androgyne des années 20, inspiré d’une photographie d’Helmut Newton, avec un smoking femme Yves Saint Laurent.

Selon toi, à quoi ressembleront le spectacle et la drag queen du futur ?

Pour moi, la drag queen du futur ne se dira plus “Queen” ou “King” ou d’une autre catégorie de drag. On est encore aujourd’hui dans une recherche de binarité des genres. J’apprécie de plus en plus le travail des drags se disant “gender fuck” ou bien venant de la scène “club kids”, qui conçoit des “créatures”. Il n’y a plus une recherche d’amplification des archétypes du genre mais seulement la création d’un personnage “bizarre”, “étrange”, “peu commun”, comme signifie à la base le mot anglais “queer”. Le corps drag est aujourd’hui encore un corps marginalisé, presque anarchiste, performant dans des théâtres ou des bars. D’un point de vue utopique, la drag du futur sera dans la rue. Non pas pour la Marche des Fiertés mais seulement pour marcher aisément. J’espère que les corps queer pourront un jour apparaître pleinement au monde.

As-tu des projets futurs à nous dévoiler ?

Mon prochain spectacle, Les fanatiques, se jouera en décembre 2020 à l’Espace29, à Bordeaux. J’ai également écrit une pièce courte, qui s’intitule Sacré-Cœur. Elle raconte l’histoire d’un adolescent homosexuel qui tombe amoureux d’un jeune missionnaire en pleine thérapie de conversion. Cette pièce sera jouée fin septembre à Strasbourg, au Festival Démostratif.

Plus d’informations sur le compte Instagram de Tristan Piotto, ainsi que ceux de La Casa et du Grand Incendie.

Propos recueillis par Justine Mailhe 

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