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Zoé (et maintenant les vivants) : une auto-fiction jubilatoire

Hélène KUTTNER 24 novembre 2025
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© Christophe Raynaud de Lage

Au Théâtre de la Bastille, Théo Askolovitch empoigne à bras le corps la question du deuil de sa mère, survenu de manière brutale. Avec la jeune comédienne Marilou Aussilloux qui joue sa soeur et Serge Avédikian le père, le spectacle en forme d’auto fiction qu’il propose nous emporte comme un ouragan d’émotion et d’humour. Une réussite totale.

Ma mère, c’est moi !

Comment parler de la disparition de sa mère, quand on a quatorze ans ? De quelle manière revenir sur une souffrance, des non-dits, la violence de certains mots prononcés, la révolte face à une réalité qui nous dépasse ? Dix ans après la mort de sa mère, le comédien Théo Askolovitch, fils du célèbre journaliste Claude Askolovitch, s’empare de ce sujet brûlant pour en faire un spectacle à trois personnages. Sur un plateau aussi blanc qu’une feuille, le fils qu’il interprète adolescent, sa grande sœur, qu’incarne de manière magnifique Marilou Aussilloux, et son père, joué par le grand Serge Avédikian, revivent l’épisode du deuil. Le coup de téléphone de l’hôpital, l’incrédulité des enfants, la stupeur du père, qui tous se raccrochent au rituel rassurant de la tradition juive, la Shiva de sept jours durant lesquels on ne se lave pas, on se prive de tout plaisir, pour honorer les défunts.

Comme dans un match de football

© Christophe Raynaud de Lage

Mais Théo Askolovitch, en amateur de ballon rond, refuse de rester dans les cages. La mort, la disparition, les funérailles de sa mère adorée, sont restituées ici avec l’énergie et la fantaisie d’un amoureux du sport, d’un adepte de la contradiction. Les mots, la parole, les joutes d’ironie sont ici lancées et échangées de manière spectaculaire sous forme d’une rivalité affectueuse, face à son père, envers sa soeur protectrice et combattive. Le combat pour la vie, pour le souvenir, contre la perte de l’être qui reste le plus important au monde car il vous a donné naissance, habitent le plateau comme des ballons qui s’échangent, rapides comme des fusées, brillants comme des étoiles. Le présent côtoie le passé, on conteste les souvenirs de l’un, on remplace les souvenirs de l’autre. L’histoire à trois est celle d’un kaléidoscope qui brille de mille subjectivités et à travers lequel les différents « je » crient pour exister. 

Un texte inspiré

© Christophe Raynaud de Lage

Rythmé, percutant, drôle, émouvant, ce dialogue à trois dans lequel le père apparaît délicatement et s’efface de manière féline, raconte aussi les liens familiaux, l’adversité et la lutte entre les êtres proches qui s’aiment d’amour. Dans ce spectacle joué merveilleusement, on ne s’ennuie pas une seconde, les personnages chantent et dansent sur la bossa nova de Gilberto Gil ou sur le poème d’Aragon « Il n’y a pas d’amour heureux ». Les mots peuplent le sol et l’écran blanc, ceux de Zoé, généreux et inspirants, qui infusent le coeur de ses enfants et enveloppent encore celui du père. Parce que la vie, terrible et insolente, va vite reprendre ses droits, que des amours et des enfants vont de nouveau naître, comme un défi à la catastrophe, Sasha le fils, Nola la fille, vont tous les trois se reconstruire. Et c’est ce qui est délicatement précieux dans ce beau spectacle : comment la vie, brouillonne, maladroite, imprévisible, ressurgit sans rien réparer, sans rien combler, comme pour prolonger notre existence et nos amours.

Hélène Kuttner 

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