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Quand créativité et économie s’associent en Europe : entretien avec Bernd Fesel

10 juin 2014
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Quand créativité et économie s’associent en Europe : entretien avec Bernd Fesel

Le 10 juin 2014

Le 10 juin 2014

Bernd Fesel est chercheur et conseiller dans le secteur des Industries Culturelles et Créatives en Europe. Auparavant chef d’entreprise, il a fait part à AMA de son expérience, ainsi que des projets qu’il envisage, notamment dans la Ruhr — dynamisée par son statut de capitale culturelle. Bernd Fesel a également abordé la manière dont les nouvelles technologies sont au cœur de ses projets culturels.

Vous travaillez avec le Forum d’Avignon en Allemagne. Pouvez-vous nous parler de ce projet ?

Tout a commencé quand la Ruhr était capitale européenne de la culture en 2010. Le thème de l’année était « Change though Culture – Culture though Change » (le Changement malgré la Culture – la Culture malgré le Changement). Nous avons été invités à venir au Forum d’Avignon, à l’occasion d’une conférence sur le thème de l’Europe, pour faire une présentation sur la stratégie culturelle — devant concilier évolution régionale et développement économique.

Le Forum d’Avignon était déjà porté sur la culture, sur l’idée d’une capitale culturelle, sur l’économie et la société. Plutôt que de créer notre propre conférence européenne ex nihilo, nous avons désiré collaborer avec un projet français, dont la portée était européenne, apportant ainsi une présence européenne dans la région de la Ruhr. Je suis à présent à la tête du Forum d’Avignon pour la Ruhr.

Dans quel but le projet a-t-il été conçu et a-t-il ensuite perduré ?

Quand nous sommes devenus capitale européenne de la culture, beaucoup d’initiatives étaient déjà mises en place. Il apparaissait clairement qu’il nous fallait leur donner une suite. Pour nous, ce statut n’était pas une sorte d’événement temporaire, mais le point de départ de quelque chose qui devait durer.

Notre gouvernement local, ainsi que son homologue fédéral, ont approuvé cette démarche. Des mesures ont été décidées quant aux stratégies de la capitale culturelle, qui seront maintenues sur les dix prochaines années.

Afin de garder une portée européenne, nous avons pensé établir un événement qui réunirait une fois par an les plus grands philosophes et leaders économiques dans notre région. C’est une idée qui est ressortie de la conférence en Ruhr.

Des financements de l’État vous ont-ils aidé pour ce projet ?

Oui. Les projets de la capitale européenne de la culture en 2010 ont été financés par la contribution de l’État. Le Forum d’Avignon est aussi financé par des fonds publics, spécifiquement par le ministère de la Culture.

Je crois que c’est quelque chose de très innovant pour le ministère de la Culture. Ce n’est pas seulement une conférence sur la culture. Elle se penche également sur la manière dont l’économie peut s’inscrire dans la société, sur l’immigration et sur les nouvelles technologies numériques.

A-t-il été compliqué d’encourager le gouvernement à participer ?

Cette année, c’est la troisième fois qu’ils nous apportent son aide. Ce projet a débuté comme une expérience. Tous les ans, nous devons prouver que la conférence est un succès et qu’elle remplit ses objectifs.

Nous ne disposons pas d’un plan de financement étalé sur dix ans. Nous avons un budget alloué annuellement. Mais, nous progressons chaque année. Sans cesse, nous travaillons pour convaincre les politiques et les leaders économiques que la conférence peut leur apporter quelque chose.

Vous avez dit que le Ministère de la Culture s’était penché sur le rôle de la culture dans la société, définie dans un sens de plus en plus large. Est-ce que la culture doit être reliée aux autres activités ?

Je crois qu’il est important de repositionner davantage le rôle dynamique de la culture dans l’ensemble de la société. C’est quelque chose qui est plus évident aujourd’hui qu’il y a peut-être vingt ans.

Notre degré d’investissement dans la culture est peut-être lié à la crise économique actuelle…

Oui, c’est le cas. Mais, c’est aussi connecté aux nouvelles technologies. Elles émergent sans cesse dans les marchés du livre et du film. Si vous n’êtes pas à la page et n’utilisez pas ces nouvelles technologies, votre secteur en souffrira.

De quelles manières le Forum d’Avignon adopte-t-il les nouvelles technologies ?

Nous nous sommes penchés sur ce sujet lors du forum précédent. Dans ce cadre, nous avons adopté une vision plus large. Nous nous sommes demandé de quelle manière la culture peut exercer une influence en dehors de son secteur traditionnel et, notamment, avec des exemples plus connus de l’influence de la culture sur le développement urbain. Si vous regardez Bilbao ou Londres, ou même des villes plus petites, de nombreux changements d’infrastructure ont laissé des bâtiments vides. Et ceux-ci ne cessent de se remplir de projets culturels.

Moins connu, la culture influence la manière de travailler des artistes, avec l’exemple des espaces collectifs de travail ou des centres d’innovation, même pour les grandes sociétés comme Vodafone. Cela a aussi un effet sur l’immigration, l’intégration et sur la manière dont la culture se développe.

Est-il difficile de trouver des fonds pour un projet culturel, en dépit de son caractère potentiellement lucratif ? Vous avez dit avoir un modèle fonctionnant annuellement. Est-ce le reflet des difficultés à obtenir des financements ou d’obtenir le soutien financier nécessaire pour débuter un projet ?

Un artiste ou un acteur culturel vous dira toujours qu’il est complexe de trouver des financements en Allemagne. Cependant, et même au niveau fédéral, les aides financières destinées à la culture ont augmenté ces dix dernières années.

La situation à l’échelle communale est plus diverse. Vous avez des villes très riches, comme Düsseldorf, Munich, Stuttgart, Francfort et Hambourg. Elles investissent toujours de manière importante dans la culture. D’autres villes sont sous la pression de changements économiques ou ne sont pas très satisfaites des résultats obtenus.

Bien sûr, les budgets de la culture sont quelques fois coupés ou nivelés. Ils n’augmentent jamais. Les coûts qui s’accroissent dans les autres secteurs entraînent en fin de compte une restriction des budgets dédiés à la culture. Au niveau local, notre approche est de diversifier les supports financiers, de faire appel à des propriétaires immobiliers, des fondations, même des appels de fonds publics, pour permettre aux artistes d’avoir accès à des nouvelles sources de financement.

Dans quelle mesure le Forum d’Avignon est-il international ? Vous travaillez en collaboration avec une conférence française. Quels sont les liens avec les autres pays ?

L’année dernière, nous avons eu 250 participants, représentant 18 pays. Cette année, le Forum est accompagné par une exposition. Elle totalise 108 participants, issus de 22 pays. C’est quelque chose qui intéresse toute l’Europe.

La portée internationale de vos projets vous donne l’opportunité de voir comment les autres pays opèrent. Souhaiteriez-vous que certaines idées qui fonctionnent bien soient appliquées en Allemagne ?

L’Europe est très diversifiée et offre beaucoup de choses à apprendre concernant la promotion de la culture. Une des nouvelles tendances est la pop-up, initiative temporaire, qui a été particulièrement forte au Portugal, en Espagne et aux Pays-Bas. J’ai aussi observé un nombre grandissant de projets au sein desquels les artistes deviennent des consultants. Ils nourrissent de leurs approches créatives des projets du monde de l’entreprise.

Il y a de nouveaux marchés pour les artistes en dehors des ventes traditionnelles. C’est quelque chose que je voudrais voir un plus en Allemagne.

Est-il problématique que ces initiatives pop-up soient de nature temporaire ?

Il y a des aspects positifs et négatifs. Si vous passez cinq ans à planifier un projet étalé sur quinze ans, il y a forcément un décalage important. Comme la société change vite, la durée longue d’un projet n’est pas nécessairement une bonne chose. Notre point de vue sur la confrontation du temporaire et du long terme doit être réajusté.

De plus, les expositions temporaires ont des résultats sur le long terme. Dans la Ruhr, nous avons entrepris un projet temporaire qui consistait à encourager les propriétaires immobiliers à investir plus d’un million d’euros pour la rénovation d’une église.

En général, il y a beaucoup d’argent qui circule en Europe, en dépit de la crise. Une partie trop importante de cela se trouve dans les banques, stagnant afin d’accumuler des intérêts. Nous devons encourager les gens à dépenser leur argent pour d’autres projets culturellement enrichissants.

Comment amenez-vous ces personnes à s’engager dans ces projets ? Comment approchez-vous ces personnes qui détiennent l’argent, mais qui ne l’utilisent pas pour la culture ?

Je pense réellement que les projets pop-up temporaires sont un bon moyen d’y parvenir. Les gens sont curieux. Des idées innovantes attireront leur attention.

Sur quel projet travaillez-vous actuellement ? Sur lesquels voudriez-vous vous réfléchir à l’avenir ?

Ce sont des questions à propos desquelles je pourrais parler très longtemps ! Nous sommes établis officiellement depuis deux ans maintenant. Nous avons concentré nos efforts à propos de l’impact de la culture sur le développement urbain. Nous menons un projet intitulé Creative Cultures Rule , qui fournit environ 700.000 € pour 20 projets réalisés dans l’année. Pour l’administration allemande, c’est un grand changement.

Dans le futur, nous voudrions encourager la participation des habitants, qui ne sont pas intéressés d’ordinaire à la culture.

J’imagine que c’est un grand défi pour vous. Vous travaillez sur ces projets culturels, mais que faire si les gens ne sont pas intéressés ?

L’année dernière nous avons mis sur pied un atelier intitulé Shaking Hans. En Allemagne, « Hans »signifie septique. Notre projet était donc intitulé « septique agité ». En septembre, nous nous sommes penchés sur un projet très particulier, créant une boîte à outils qui peut être transférée d’une ville à l’autre.

Une commune s’est d’ores et déjà rapprochée de nous. J’espère qu’elle est assez astucieuse pour se lancer dans un projet innovant. C’est un problème que beaucoup d’artistes ont. Ils font quelque chose de très intéressant et novateur, mais les médias et les gens autour d’eux ne le comprennent pas.

Je suis toujours très minutieux pour appeler quelque chose un « modèle ». Mais, mon espoir est que d’autres personnes puissent apprendre à partir de cela et le copier.

Comment en êtes-vous arrivé là où vous êtes aujourd’hui ?

J’ai été frustré après mon service militaire. J’ai alors étudié la philosophie. J’avais besoin de quelque chose pour me réveiller l’esprit. L’économie suivait des principes philosophiques, alors j’ai réalisé que je devais trouver un pont vers la réalité. Ensuite, j’ai travaillé en tant que marchand d’art et galeriste pour la Young Contemporary Artists pendant presque dix ans, puis j’ai monté ma propre société, destinée à apporter du conseil concernant la politique culturelle et la promotion de l’industrie créative.

En 2003, j’ai lancé la première conférence internationale sur l’économie créative, puis rejoint la capitale de la culture en 2007, puis mon entreprise actuelle.

Est-ce qu’il était étrange de passer du secteur privé au secteur public ?

Oui, mais je pense que ces deux secteurs profitent de la médiation que nous faisons. Maintenant, ayant travaillé des deux côtés, je comprends ce que signifie le freelance, de ne pas savoir si vous allez avoir de l’argent avant d’être sur la foire. Mais, j’ai aussi obtenu d’importants fonds publics. Je connais la nécessité de gouverner, de faire des plans sur dix ans. C’est quelque chose de positif bien sûr, pour une autorité publique. Mais, il a un grand écart avec la création innovante.

Il est important de créer une synergie comprenant ces deux secteurs, qui font fonctionner la société. 

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