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À Bordeaux, Borondo transfigure le Temple des Chartrons

Stéphanie Lemoine 22 juillet 2019
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Avec Merci au Temple des Chartrons à Bordeaux, Borondo prouve à nouveau sa capacité à embrasser un lieu pour y déployer son exceptionnelle profondeur poétique. À voir absolument !

Dans le petit monde de l’art urbain, Borondo est une figure qui compte. Sa maîtrise technique, ses références à l’Histoire de l’art et son style expressionniste, puissamment pictural, ont eu tôt fait de le placer dans la short list des stars invitées à venir peindre des murs monumentaux aux quatre coins de la planète. L’artiste espagnol se distancie pourtant avec constance des recettes à l’œuvre depuis dix ans dans le milieu : après l’éblouissant Matière noire en 2017 aux puces de Marseille, il présente jusqu’au 20 août prochain Merci au Temple des Chartrons à Bordeaux, dans le cadre de la saison Liberté ! Soit une installation contextuelle et multimédia déployée sur l’ensemble d’un ancien temple protestant. “Le dialogue avec l’environnement est ce qui m’intéresse dans l’art urbain”, explique-t-il. “Or, dans mes muraux, cette connexion était devenue très superficielle. Poursuivre dans cette voie n’avait plus de sens pour moi. Je continue à faire de l’art public, mais en allant au-delà d’une simple peinture à la surface d’un grand mur. Je crois que c’est la mission des artistes que de continuer à chercher.”

S’immerger dans Merci suffit à convaincre du bien-fondé d’une telle recherche. L’œuvre créée par l’artiste et une dizaine de collaborateurs au Temple des Chartrons est ambitieuse et puissante. Elle saisit par sa capacité à embrasser l’espace pour le révéler et le transfigurer tout à la fois. Elle dénote aussi, chez Borondo, une volonté de prendre des risques et de plonger dans l’inconnu. “Les organisateurs de Liberté ! m’avaient proposé plusieurs espaces”, explique-t-il. “Quand j’ai visité ce temple, j’ai senti quelque chose, mais je n’avais aucune idée de ce que je pouvais y faire. Je me suis dit que c’était le bon endroit !”

Merci – Gonzalo Borondo © Roberto Conte

Un temple de la nature

Quand l’artiste y pénètre pour la première fois, le lieu est pourtant loin d’offrir un cadre idéal : inoccupé depuis plus de trente ans, il sert d’espace de stockage. Le sol est jonché d’objets, de détritus, comme nous le rapporte Gaël Lefeuvre, déjà collaborateur de l’artiste à l’occasion de Matière noire. Pendant quatre mois, Borondo s’affaire, selon ses termes, à “faire de ce non-lieu un lieu”. Il aborde alors l’espace à l’économie, en punk qu’il fut à l’adolescence, et demeure ne serait-ce que par sa manière très “do it yourself” de répondre à la commande et d’en affronter les contraintes (de sécurité notamment).

Merci fait ainsi feu de tout bois, littéralement : l’œuvre puise sa matière à proximité, se nourrit de son environnement et l’éclaire. Elle est le fruit de longues recherches, de marches, de rencontres, de discussions avec l’ONF et le Jardin botanique de Bordeaux, qui sont venues nourrir des intentions et des intuitions – en l’occurrence le désir d’aborder les liens de l’Homme avec la nature. L’artiste transforme ainsi peu à peu le bâtiment en temple païen où la vie et la mort, la croissance et le déclin, la destruction et la construction se font face, s’entremêlent et se confrontent. À la palette toujours précise de Borondo s’ajoutent vidéos, sculptures, installations et créations sonores, qui débordent sur la façade, investissent l’entrée, les étages, les murs, le sol, l’autel…

Une nature ambivalente

En se renseignant sur l’histoire du temple, Borondo découvre en effet que son érection par des fidèles protestants au début du XIXe siècle coïncide avec la plantation de la forêt des Landes – conçue comme un capital”naturel”, une ressource mobilisable à des fins d’enrichissement. Le plus grand espace boisé d’Europe se dévoile ainsi comme une création artificielle, née de la main de l’Homme. Ce paradoxe vient nourrir l’exposition. Dans Merci, les arbres sont partout : dès l’entrée, ils filent sur les colonnes la métaphore d’une nature-temple ; à l’intérieur, ils installent une continuité entre l’édifice de pierre et le bois dont étaient faits les premiers temples religieux. Plus loin, sur l’autel jonché de copeaux et de planches de bois, un pin instille l’idée d’un culte païen destiné à domestiquer des forces puissantes, à l’occasion incontrôlables. Les ex-voto en marbre blanc disséminés à l’intérieur du temple et à ses abords, et qui donnent son titre à l’exposition, explicitent cette négociation ancienne.

La nature présentée dans Merci est en effet marquée par l’ambivalence. Elle est une force cosmique, potentiellement destructrice. Comme le suggère le titre de l’exposition (Merci désigne à la fois la pitié et la reconnaissance), elle est aussi bien une ressource qu’une menace. “Je ne voulais pas que l’œuvre soit une ode à la nature et un appel à prendre soin d’elle”, rapporte Borondo. “Je voulais dire au visiteur ‘n’oublie pas ce qu’est la nature’ et montrer qu’elle est un processus de transformation.” Ce processus se donne à voir dès les abords du temple, dont une colonne est couverte d’écorce de pin. Il se prolonge, à l’intérieur, en une série d’espaces architecturaux, dont une perspective qui vient prolonger les lignes du bâtiment. Sur les murs et au plafond, une série de représentations antithétiques, où la lumière le dispute à l’ombre, le feu et la destruction à la régénération, suggèrent un continuum entre le monde naturel et ses représentations. On y note ainsi quantité d’échos à la tradition picturale – de Zurbarán à Monet, de Michel-Ange à Goya. La nature ne s’y donne jamais à voir comme une entité extérieure à l’Homme ou comme son envers sauvage : elle s’y présente au contraire comme une construction, une élaboration intellectuelle, et pourquoi pas un concept.

Ce faisant, Merci invite à questionner notre relation aux arbres et aux plantes. À cet égard, le fait que l’exposition coïncide avec Nous, les arbres à la Fondation Cartier n’a rien d’un hasard. L’œuvre fait écho, poétiquement et sans discours trop explicite, à la reconfiguration en cours d’une ligne de partage, très occidentalo-centrée, entre le monde et nous, entre nature et culture.

Stéphanie Lemoine

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