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Axelle Moleur : “il faut persévérer, beaucoup travailler, multiplier ses expériences”

D.R.

Résolument orientée vers la culture, la directrice générale adjointe du Centre national de la danse évoque son parcours du Centre Pompidou au CND, en passant par le projet du Louvre Abu Dhabi et la Cinémathèque française… Un accord entre travail et vie personnelle.

Axelle, pourriez-vous présenter votre parcours  ?

Après un double cursus universitaire en lettres (licence de lettres modernes et un DEA de littérature hispano-américaine) et réalisant que je ne souhaitais pas enseigner, j’ai passé et réussi le concours permettant d’intégrer Sciences Po Paris en 4ème année. J’y ai suivi les cours de ce que l’on appelait alors les majeures “métiers du développement” et “gestion des entreprises culturelles”.

Comment êtes-vous passé de vos études à Science Po à la culture ? 

J’ai vite compris que je m’orienterai vers la culture, les cours de Sylvie Brunel (passionnants) m’ayant ouvert les yeux sur le danger des bonnes intentions dans le domaine humanitaire. Je souhaitais avant tout travailler dans un domaine non lucratif, contribuer au service public. J’avais bien sûr un intérêt pour les contenus en tant que “consommatrice” de biens culturels, mais je n’avais pas d’idée de métier en tant que tel. J’espérais juste que le contexte dans lequel se déroulerait ma vie professionnelle me permettrait de découvrir de nouvelles œuvres, de nouveaux domaines inconnus, de rencontrer des gens partageant les mêmes valeurs que les miennes ; ce fut le cas et ça l’est encore aujourd’hui.
Parallèlement à mes études, j’ai fait différents stages dans le secteur culturel, jamais rémunérés. J’ai commencé en tant qu’assistante iconographe à l’Agence Magnum (grâce à une amie dont l’oncle était membre de l’agence); c’était avant la numérisation des fonds, je fouillais dans les boites toute la journée à la recherche d’images. C’était fascinant, et impossible aujourd’hui.
Ensuite j’ai fait un stage à l’Ambassade de France de Buenos Aires : nous avions reçu pour consigne de n’adresser notre dossier de candidature qu’au Ministère des Affaires étrangères à Paris, le choix se faisant strictement en centrale. J’ai aussi pris la liberté d’adresser directement mon dossier à La Havane, à Lima et à Buenos Aires. L’attachée de coopération universitaire de Buenos Aires m’a appelée et je suis partie m’y installer avec bonheur pour 6 mois.
Une fois diplômée, je me suis réinscrite à la fac pour pouvoir faire un dernier stage ; le Palais de Tokyo a retenu ma candidature ; j’y ai beaucoup appris notamment au contact des jeunes artistes qui y faisaient une année de résidence.
Pendant ce dernier stage j’ai répondu à toutes les offres d’emploi que je pouvais trouver dans le domaine culturel, sans choisir un secteur en particulier, très angoissée à l’idée de n’être prise nulle part : édition, production audiovisuelle, spectacle vivant, musées, festivals etc.
Deux mois après la fin de mon stage, je commençais un CDD de 6 mois au Centre Pompidou en tant qu’adjointe au service de la régie des œuvres. J’y remplaçais une remplaçante qui venait de trouver un CDI ; elle m’a expliqué avoir retenu mon CV notamment car nous étions toutes les deux passées par Sciences Po et portions le même prénom…

Quelle expérience avez-vous tirée de vos fonctions au Centre Pompidou ?

J’ai passé 4 ans au Centre Pompidou où j’ai occupé 3 postes différents au sein de la direction de la production au gré de quelques vacances de postes (en vacation ou CDD puis enfin en CDI les deux dernières années). C’est là, en travaillant, que j’ai véritablement développé mes connaissances et compétences professionnelles, moi qui me sentais très peu armée pour passer aux choses concrètes après toutes ces années d’étude : gérer des budgets, rédiger des contrats, gérer un marché public, travailler en équipe, rationaliser et améliorer les processus de travail, s’adapter, composer avec des personnalités fortes et des procédures complexes (quand elles existent).
J’ai d’abord occupé le poste d’adjointe à la régie des œuvres, service en charge de la logistique des œuvres d’art dans le cadre de l’organisation des expositions (coordination budgétaire, marchés publics, rationalisation des processus de travail et rédaction des procédures).
J’ai ensuite appris le métier de régisseur d’œuvres pendant un an, formée sur le terrain par un collègue : gestion des listes d’œuvres et adresses d’enlèvement, relations aux prêteurs, constats d’état, fabrication des caisses, déclarations aux assureurs, emballages, déballages, listes de colisage, montages, démontages, chargements, déchargements, convoiements… un métier plein d’action, de suspense et de rebondissements !
J’ai enfin rejoint en tant qu’adjointe le service des manifestations au sein duquel travaillent les chargés de production qui coordonnent les projets d’exposition (construction de la liste d’œuvres, coordination budgétaire, juridique et administrative avec l’ensemble des services impliqués dans la mise en œuvre du projet) au côté des commissaires d’exposition.

Parlez-nous de votre rôle au sein de l’Agence France-Muséums dans le cadre du projet du Louvre Abu Dhabi. Pour quelles missions avez-vous été engagée ?

L’Agence France-Muséums a été créée en 2007 pour coordonner l’expertise française dans le cadre du projet de création du Louvre Abu Dhabi. En 2009, le directeur général du Centre Pompidou, devenu directeur général de l’agence m’a proposé de rejoindre son équipe en tant que responsable administrative et budgétaire. Pendant près de 4 ans, j’étais donc notamment chargée de la gestion administrative et budgétaire, de préparer les instances (ordres du jour, rédaction de notes de synthèse destinées au comité d’audit, au conseil d’administration et à l’assemblée générale), de contribuer à la coordination de prestations de conseil confiées aux douze musées partenaires et de suivre le contrat de prestations de services entre l’agence et son partenaire émirien (planning, bilans opérationnels et financiers). Ce fut l’occasion de contribuer à la mise en œuvre d’un projet de politique culturelle internationale hors normes, et la chance incroyable de le voir se concrétiser peu à peu à distance et sur place (constitution de la collection, construction du musée, conception de son organisation future dans tous ses aspects).

Qu’est-ce qui a ensuite changé dans vos fonctions à la Cinémathèque ? 

À la Cinémathèque française mon expérience et mes compétences managériales et juridiques se sont considérablement étoffées puisque j’y ai été recrutée en tant que directrice financière et juridique après avoir répondu à une annonce. J’y encadrais le service de la comptabilité, le service juridique, le contrôle de gestion et les marchés publics. Comme au Centre Pompidou, j’ai énormément appris sur le terrain, en travaillant avec mes collaborateurs qui étaient tous des experts dans leurs domaines, contrairement à moi… Mon rôle était notamment de définir la stratégie budgétaire, la conception et la mise en place d’outils de pilotage et de contrôle. J’ai aussi pu contribuer plus activement à l’élaboration de la stratégie générale de l’établissement en rédigeant notamment son contrat de performance. C’est cet aspect du travail qui, cinq ans plus tard, m’a amenée à candidater au poste de directrice générale adjointe du Centre national de la danse, dans le domaine du spectacle vivant pour la première fois.

À quels obstacles ou difficultés avez-vous dû faire face pour évoluer dans votre travail ?

L’envie de continuer à apprendre et à progresser professionnellement m’a régulièrement poussée à changer de poste, la marche à monter à chaque fois était importante puisqu’il a toujours fallu, au-delà de la découverte d’un nouveau contexte et de nouvelles problématiques, que je me forme à un nouveau champ de compétence et que je travaille à faire mes preuves rapidement, surtout lorsqu’il s’agissait d’encadrer une équipe, de régler des situations conflictuelles, de prendre des décisions, de réformer, d’arbitrer.
Les deux premières années de prise de poste ont toujours été particulièrement chargées, ponctuées de moments de remise en question, de grande fatigue, de sentiment d’isolement, avant de finalement, parvenir à tenir pleinement son rôle, à être légitime aux yeux des autres et à construire une relation de confiance mutuelle, voire même d’amitié avec certains.

Pourriez-vous nous parler davantage de votre champ d’intervention en tant que directrice générale adjointe ? Quelles initiatives pour quels objectifs ?

En tant que directrice générale adjointe du CND, au-delà de la contribution directe à la définition des orientations stratégiques de l’établissement aux côtés de la directrice générale, j’encadre toutes les fonctions dites “support” de l’établissement : finances, ressources humaines, bâtiment et informatique. C’est donc cette fois-ci les domaines très techniques que sont le droit social, et la gestion de la sécurité dans un établissement recevant du public qu’il a fallu appréhender. L’un des grands enjeux de l’établissement est la modernisation de sa gestion, les fonctions support sont donc particulièrement mises à contribution (élaboration d’un schéma directeur informatique etc).
Le travail de négociation avec les tutelles est plus étroit, plus intense et la question de la mise en œuvre des politiques publiques est plus prégnante à cette place dans l’organigramme ce qui amène à une vision plus globale des choses.

Dans le cadre de la crise sanitaire, quelles sont les actions concrètes mises en œuvre ? 

La gestion d’une telle crise relève directement de mes fonctions, toujours aux côtés de la directrice générale.
Il s’agit d’évaluer la situation et de prendre rapidement les décisions afin d’adapter les consignes gouvernementales au contexte particulier de l’établissement afin de protéger le public et les salariés : annulation des activités, gestion de toutes les conséquences de ces annulations, organiser rapidement le travail à distance, informer les salariés des mesures prises en fonction de leur situation particulière (chômage partiel, garde des enfants, salariés à la santé fragile etc.), rendre compte à la tutelle des mesures prises, des conséquences financières et organisationnelles de celles-ci. Contribution à la redéfinition du programme des activités, puis préparation du déconfinement, élaboration d’un plan de reprise progressif de l’activité sur site en concertation avec les directeurs et plus largement avec les équipes (quels équipements, quelle organisation du travail, quels protocoles d’hygiène sur site…), tout en tenant compte de toutes les recommandations sanitaires qui circulent et du contexte particulier du CND  (type d’activités proposées et configuration des lieux). Le pic de l’épidémie s’est éloigné, mais la gestion de la crise ne fait que commencer de notre point de vue : quelles activités peuvent reprendre, comment soutenir le secteur chorégraphique, quel public reviendra, et quand, quelles seront les conséquences du confinement sur le rapport au travail, sur la façon de manager une équipe, comment moderniser et dématérialiser la gestion à l’avenir etc etc etc.

Possédant une solide expérience de plus de 15 années dans différentes institutions culturelles, auriez-vous un conseil pour les jeunes qui cherchent leur orientation et qui sont intéressés par ce milieu ?

Il est très difficile pour moi de donner des conseils… Dans ce secteur, les candidats sont nombreux et les places sont rares. Lorsque j’envisage mon parcours, j’ai le sentiment d’avoir certes beaucoup travaillé mais aussi d’avoir probablement eu un peu de chance, même si j’ai obtenu la quasi-totalité de mes postes en répondant à une offre d’emploi diffusée en ligne.
Au démarrage j’étais très inquiète de ne pas trouver de place, je cherchais des conseils et m’entendais répondre qu’il fallait « avoir un réseau », ce qui me désespérait car cela me semblait très mystérieux et hors de portée…
Le réseau se constitue en général en travaillant, comme les compétences, car on ne sort pas opérationnel de ses études, même si on a fait beaucoup de stages.
Je dirais donc qu’il faut parvenir à “mettre le pied dans la porte” et ensuite beaucoup persévérer, beaucoup travailler et ne pas hésiter à multiplier les expériences, à prendre en charge de nouveaux dossiers, même au-delà de son périmètre strict.
Pour finir, je ne peux nier que le label Sciences Po a changé le regard que les recruteurs ont posé sur mon CV ; mon parcours universitaire bien qu’exigeant et tout à fait valable, ne déclenchant pas la même étincelle dans leur regard… Je trouve cela bien regrettable, mais cela semble être la règle du jeu pour sortir du lot au démarrage.

Propos recueillis par Eleftheria Kasoura

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