0 Shares 3943 Views

Jean-Michel Pailhon : “Il va y avoir une explosion des NFTs dans les années à venir”

28 avril 2021
3943 Vues

Le collectif Obvious, pionnier de la création avec l’intelligence artificielle, vient de s’associer à la galerie Kamel Mennour pour le premier projet NFT de la galerie, diffusé sur la plateforme numérique SuperRare. Kamel Mennour a souhaité lancer cette vente NFT dans l’optique “d’être dans une découverte de nouveaux territoires”. Rencontre avec Jean-Michel Pailhon, l’acquéreur de deux des trois œuvres du projet Portraying, et découverte de ce nouveau système des NFTs, qui pourrait selon lui s’installer et donner naissance à une toute nouvelle génération d’artistes.

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Je m’appelle Jean-Michel Pailhon. Il y a 4 ans, j’ai rejoint une entreprise technologique de sécurité liée aux cryptomonnaies, qui s’appelle Ledger. C’est une boite française à l’origine mais on est assez globaux aujourd’hui, avec des succursales aux États-Unis et à Singapour. C’est une entreprise leader sur son marché, en fort développement. On est assez connu dans le monde de la cryptomonnaie car on propose un « hardware wallet », un appareil utilisé par les gens qui ont de la cryptomonnaie et qui permet de conserver les « clés privées ». C’est un peu comme un super mot de passe en réalité : ça conserve le mot de passe pour vous connecter à des blockchains et donc pouvoir effectuer des transactions. On a deux divisions dans l’entreprise, une pour les particuliers et une pour les grands investisseurs professionnels. Depuis quelques mois, je m’occupe de la division pour les entreprises. Avec l’arrivée des NFTs, mon histoire professionnelle et mon histoire personnelle se rejoignent puisqu’à titre personnel je m’intéresse au street art et à l’art contemporain et de l’autre côté, je travaille sur la sécurité de la technologie des cryptomonnaies et des crypto-actifs.

Quel est votre rapport à l’art ? Est-ce un domaine auquel vous vous intéressez depuis toujours ?

J’ai commencé à collectionner du street art à un tout petit niveau à partir de 2004-2005. J’étais assez jeune à l’époque donc je n’avais pas des moyens très importants mais je me suis passionné pour ce mouvement assez tôt dans le cycle. J’ai alors pas mal gravité dans l’univers du street art et j’ai acheté quelques toutes petites pièces d’Invader, de Zevs, et d’autres artistes similaires pendant quelques années. Puis il y a quelques mois, j’ai acquis mes premières œuvres NFTs.

Pourriez-vous nous expliquer ce qu’est un NFT ?

NFT signifie « non-fungible token ». Ce sont des crypto-actifs mais non fongibles. Aujourd’hui si vous achetez un Bitcoin par exemple, vous pouvez le diviser en plein de « satoshi », comme vous pourriez avoir un million de dollars en billets de un dollar. Il y a 4 ans a été créé un protocole spécifique qui permet au contraire que chaque token soit unique. C’est pour cela qu’on parle de « non-fongible ». Il faut savoir que chaque NFT est unique et surtout, il est sécurisé puisqu’il est garanti par les fameuses blockchains publiques. Cette technologie a trouvé un cas d’usage dans l’art il y a 3-4 ans avec les CryptoKitties, les premiers NFTs devenus très connus. C’était des petits chats en dessin qui sont devenus viraux et collectionnés par pas mal de gens.

Comment définiriez-vous une œuvre NFT ?

Une œuvre NFT c’est une œuvre numérique de A et Z. Elle a été créée nativement sur un support numérique et toute sa vie sera numérique : la genèse, la création de l’œuvre lors de sa mise en ligne sur une blockchain, ainsi que tous les transferts de cette œuvre qui seront entièrement numériques. Vous ne pourrez jamais extraire l’œuvre de la blockchain et la prendre avec vous, ce sont juste des lignes de codes. C’est ça qui est exceptionnel.

Bellum Tempus, acquise par Jean-Michel Pailhon © Obvious

Vous avez évoqué plus haut avoir débuté votre collection d’œuvres NFTs il y a quelques mois. Pouvez-vous nous parler de la construction de cette collection ?

Je m’intéresse au sujet des NFTs depuis quelques temps et j’ai en effet commencé à devenir un neo-collectionneur en NFT il y a quelques mois. C’est assez intéressant parce mes deux mondes, professionnel et personnel, se rejoignent avec les NFTs. C’est donc totalement logique et en même temps très nouveau pour moi. J’ai un portefeuille en ligne qui présente un certain nombre des NFTs que j’ai, c’est un peu ma vitrine NFT à date. C’est une collection qui est en construction, on y voit des œuvres d’origines assez diverses. J’ai commencé avec des petites choses de John Hamon parce que j’aimais bien l’artiste dans la vraie vie. Ensuite, ce sont plus des choses très nativement digitales, comme les Hashmasks qui sont assez connus dans les NFTs, et évidemment les deux pièces d’Obvious qui viennent de s’ajouter à la collection.

Pourquoi avoir voulu acquérir ces deux œuvres, Perspettiva Albertiana et Bellum Tempus ? Connaissiez-vous le travail du collectif Obvious avant cette vente NFT organisée par la galerie Kamel Mennour ?

Oui, je suis le travail du collectif Obvious dans l’art digital depuis environ 3 ans. L’intelligence artificielle qui génère des œuvres d’art ça m’intéressait déjà à titre intellectuel mais aussi à titre artistique. Et donc forcément quand j’ai vu des artistes que j’aimais bien utiliser une nouvelle technique, très novatrice, qui est la génération par l’intelligence artificielle d’oeuvres d’art, et qui en plus utilisent le nouveau support qu’est le support des NFTs, je ne pouvais pas ne pas très fortement m’y intéresser. Je trouve que le NFT est le support idéal pour l’art numérique. Le choix s’est porté sur ces œuvres d’abord parce que j’aimais l’approche générale d’Obvious par rapport à l’art digital. De plus, j’aimais particulièrement le modèle un peu similaire à ce qu’ils avaient fait pour Edmond De Bellamy, à savoir une génération automatique de portraits, avec le côté un peu ancien. Ça me parlait. Enfin, les œuvres étaient mises en vente par Kamel Mennour, qui est l’un des plus grands galeristes contemporains. Tout était aligné pour moi : des artistes que j’aime bien, leur technologie, leurs œuvres, le fait qu’ils utilisent la technologie NFT et Kamel Mennour. Pour un collectionneur, c’était parfait !

Aujourd’hui, quel intérêt représentent les NFTs selon vous ?

C’est intéressant parce qu’on se retrouve dans une situation un peu similaire à celle de l’arrivée d’Internet il y a 25 ans, qui permettait à n’importe qui de devenir son propre média, son propre auteur. De la même façon, le NFT permet à n’importe quel artiste, n’importe où dans le monde, de créer une œuvre digitale, de la générer sur une blockchain et de pouvoir ensuite la vendre, la donner ou l’échanger avec n’importe qui, sans aucune barrière physique ou géographique. Vous pouvez être un collectionneur comme moi basé à Paris et l’artiste peut se trouver n’importe où dans le monde. Il y a une grosse friction dans la livraison et l’acheminement des œuvres physiques, ce qui n’arrive pas avec les NFTs. Pour moi, le support NFT est vraiment l’avenir de l’art contemporain et de la collection d’art. Je pense que d’ici 5 ans, tous les grands collectionneurs d’art dans le monde auront des NFTs.

Ces œuvres NFTs sont entièrement digitales, cela implique-t-il un autre rapport à l’œuvre en tant que collectionneur ?

Je ne suis moi-même qu’au début de mon cheminement intellectuel par rapport à tout ça donc je n’ai pas de réponse finie mais je pense qu’il y a quelque chose d’assez démocratique dans les NFTs. Si vous êtes un grand collectionneur et que vous avez fait l’acquisition d’une très belle pièce, ça reste la plupart du temps chez vous, dans votre collection. Les NFTs, tout le monde peut les voir et en profiter. Ça change un peu le côté du collectionneur qui veut avoir la chose pour lui et uniquement pour lui. On est beaucoup plus dans le partage avec les NFTs. Les œuvres que j’ai achetées sont à la fois à moi et à tout le monde. Certes j’en suis le propriétaire final mais n’importe qui peut sauvegarder l’image en un clic droit sur son ordinateur. C’est totalement aligné avec la vision libertarienne de la cryptomonnaie. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que les NFTs viennent de la cryptomonnaie, du Bitcoin et de l’Ethereum, c’est la vision de la plupart des gens qui sont à l’origine sur les cryptomonnaies : une vision très ouverte, de partage. Au-delà du rapport à l’œuvre en tant que telle, ça change également notre rapport à sa possession. Pour vous donner un exemple concret, j’ai acheté l’une des œuvres NFTs d’Obvious, Perspettiva Albertiana, avec Nicolas Laugero Lasserre (ndlr : collectionneur et directeur de l’ICART, école du management de la culture et du marché de l’art). Nous sommes donc tous les deux propriétaires de cette œuvre. Nous allons ainsi mettre en place un système de multisignatures pour l’accès à cette œuvre, celui-ci garantira qu’on soit tous les deux d’accord pour réaliser une opération de transfert de propriété la concernant. L’idée d’être copropriétaires de la même œuvre, que nous pensons tous les deux être une future œuvre importante dans l’histoire de l’art des NFTs, ajoute de l’intérêt car nous sommes deux collectionneurs de street art et d’art contemporain qui pour une fois pouvons collectionner ensemble. Ici, pas de question de qui a l’œuvre chez lui.




Selon vous, quel sera le rapport entre le monde de l’art physique et celui des NFTs ? Est-ce qu’on assiste à l’entrée dans une nouvelle ère dans la façon de collectionner l’art ?

Pour moi, il y aura le marché de l’art physique qui va continuer d’exister et le marché des NFTs qui va prendre de l’ampleur. Ce sont deux mondes qui vont cohabiter. Il va y avoir des ponts de l’un vers l’autre, aussi bien du physique vers le NFT que du NFT vers le physique. Je pense que des artistes classiques du physique vont essayer de faire des NFTs, ça va être intéressant de voir comment ça va se passer pour eux. J’ai vu que Yayoi Kusama allait peut-être en faire, Damien Hirst également. Est-ce que ça va marcher ? Je ne sais pas trop. Pour moi c’est comme Internet, ce n’est pas forcément ceux qui venaient du physique qui sont devenus des superstars d’Internet. Les NFTs offrent à un plus grand nombre de créateurs la possibilité de diffuser leurs œuvres et ça c’est très important mais à la fin, je pense qu’on aura des superstars de NFT, comme on a des superstars de l’art contemporain aujourd’hui. Les grands artistes vont continuer d’exister mais de nouveaux artistes vont aussi immerger dans les NFTs. Il en y a déjà d’ailleurs, dont Beeple et quelques autres qui sont connus parce qu’ils ont fait de grands résultats lors de ventes aux enchères avec Christie’s et autres. Pour moi il va vraiment y avoir une nouvelle génération d’artistes, comme dans le street art en fait.

Comment envisagez-vous le futur pour les NFTs ? Est-ce un système pérenne selon vous ?

Il y a beaucoup de bruit autour des NFTs en ce moment. C’est comme Internet, comme la cryptomonnaie, il y a une excitation, c’est compliqué à comprendre. Je pense qu’on est vraiment au début des NFTs mais qu’il va y avoir une explosion dans les années à venir. Il y aura des soubresauts avec des grandes périodes et des périodes un peu plus molles, puis ça reprendra. Pour moi, les NFTs sont là pour rester et je pense que dans 10-20 ans, les futures générations seront peut-être plus intéressées par les NFTs que par la propriété physique. Ça va devenir quelque chose d’important dans la vie des collectionneurs et des artistes sur la décennie qui arrive, c’est un fait. Je pense que les superstars des NFTs seront principalement des artistes digitaux, des gens qui travaillent nativement sur ordinateur parce qu’ils ont les codes, c’est déjà leur terrain de jeu. Obvious peut faire partie de ces gens-là parce que ces sont des artistes qui sont nativement numériques. C’est un secteur en ébullition aujourd’hui, il y a besoin de beaucoup d’éducation pour les collectionneurs, les artistes. Il faut faire attention parce qu’on a des œuvres qui valent assez chères à l’heure actuelle, avec des artistes qui ne vont pas forcément rester dans l’histoire de l’art. Mais dans ce secteur en émergence il y aura aussi de très grands artistes qui vont naître. Encore une fois, je fais le parallèle avec le street art mais pour moi c’est un peu pareil. Et à l’image d’un Banksy que peu de monde connaissait il y a 15 ans et qui est aujourd’hui l’artiste le plus connu en Angleterre, je pense que dans 10 ans, l’artiste français ou européen le plus connu sera probablement un artiste NFT.

Propos recueillis par Clémence Buisson

Articles liés

“La Danseuse” : Justine Raphet met en lumière la toxicité des relations amoureuses
Agenda
99 vues

“La Danseuse” : Justine Raphet met en lumière la toxicité des relations amoureuses

La Danseuse traite des relations amoureuses toxiques et de l’emprise au sein du couple en s’intéressant au parcours de vie de Noé et à sa relation amoureuse avec Adèle. Noé, jeune danseur, ne se sent pas en phase avec le...

Auster Loo Collective brisent les frontières de la musique et révèlent leur nouvel album au Studio de l’Ermitage !
Agenda
77 vues

Auster Loo Collective brisent les frontières de la musique et révèlent leur nouvel album au Studio de l’Ermitage !

Auster Loo Collective révèleront leur nouvel album (sous la direction de Simon Leleux) à l’occasion de sa sortie le 26 avril 2024 chez Igloo Records / Socadisc. Cet opus sera présenté le mercredi 22 mai 2024 sur la scène...

“Dilemma”: une carte blanche offerte à l’artiste Rebecca Brodskis à voir au Bastille Design Center
Agenda
82 vues

“Dilemma”: une carte blanche offerte à l’artiste Rebecca Brodskis à voir au Bastille Design Center

La galerie By Lara Sedbon, en collaboration avec Kristin Hjellegjerde Gallery, invite Rebecca Brodskis à investir les trois étages du Bastille Design Center au cœur d’une exposition inédite brassant des modes d’expression variés. Véritable carte blanche au sens large,...