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5 films pour découvrir Michelangelo Antonioni

15 février 2021
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Michelangelo Antonioni

Capture d'écran tirée du film "Lo Sguardo di Michelangelo" (Le Regard de Michelangelo), 2004.

Michelangelo Antonioni est un des rares réalisateurs à avoir remporté les trois plus hautes récompenses des principaux festivals européens que sont Cannes, Berlin et Venise. Il fait partie de ces directeurs italiens qui ont développés une sensibilité particulière après la Seconde Guerre mondiale et ont formés le mouvement néoréaliste. 

Le cinéma de Michelangelo Antonioni se distingue par son traitement du dramatique, profondément moderne dans la manière d’évoquer les émotions. Parmi les thèmes et les styles de son œuvre, on peut recenser : des recherches plastiques singulières, une rigueur dans la composition des plans, une exploration de la sensation de durée, voire de vide et une rupture avec les codes de la dramaturgie dominante (énigmes irrésolues, récits circulaires sans progression dramatique claire, protagonistes détachés de toute forme de quêtes ou d’actions logiques). Les personnages y sont généralement insaisissables et entretiennent des relations intimes troubles ou indéfinissables. Outre la solitude, la frustration, l’absence et l’égarement, on perçoit dans ses films, une caractéristique qu’on pourrait nommer comme “l’incommunicabilité”. 

Antonioni aime travailler les temps morts, ces derniers ne montrent pas seulement les banalités de la vie quotidienne, ils recueillent les conséquences ou l’effet d’un événement remarquable qui n’est constaté que par lui-même sans être expliqué (la rupture d’un couple, la soudaine disparition d’une femme…). La méthode du constat chez Antonioni a toujours cette fonction de réunir les temps morts et les espaces vides : le récit du cinéaste est construit par des strates successives, inarticulées, tenues ensemble non pas par la dramaturgie mais par le spectateur qui assemble de façon non autoritaire des éléments complexes auquel il donne sens.

1- L’avventura (L’aventure), 1960

C’est avec “L’avventura” en 1960 qu’Antonioni devient internationalement célèbre, primé à Cannes, il constitue le premier volet d’une tétralogie qui impose une vision novatrice et moderne de l’art cinématographique, voulue “égal à la littérature”. “L’avventura” compte l’histoire d’Anna, accompagnée de son fiancé Sandro et de son amie Claudia. Ils participent ensemble à une croisière en yacht au large de la Sicile. Elle fait part à Sandro de l’acuité de la crise sentimentale qu’elle traverse : leur amour se dégrade dans la lassitude. Les passagers accostent sur la petite île de Lisca Bianca. Anna s’éloigne et ne reparaît plus…

“L’avventura” est une attaque contre les conventions du récit cinématographique et les règles observées à l’époque. Antonioni s’oppose ainsi aux normes dominantes du spectacle, et exige de surcroît chez le cinéphile averti une confiance inédite, lui offrant selon ses propres termes un “polar à l’envers” (: giallo in rovescia). Une victime jamais retrouvée, un crime non élucidé et dont on n’est même pas certain qu’il ait eu lieu. À travers ce poème intemporel sur la difficulté d’être, le cinéaste traite de la perte physique et de la perte des repères psychologiques par le biais d’une dramaturgie déroutante. Antonioni va jusqu’aux limites du non exprimé, jouant sur la symbolique des paysages, des éboulements, des tempêtes. Il utilise l’immensité, le vide, l’espace, pour analyser la maladie des sentiments.

2- La Notte (La Nuit) 1961

Chronique de la destruction annoncée d’un couple, doublée d’une subtile réflexion sur la mort, “La Notte” est une révolution. Antonioni utilise la métaphore de l’urbanisme pour figurer la fragilité des sentiments. Le cinéaste raconte à travers ce nouvel opus l’histoire de Lydia et Giovanni Pontano, mariés depuis une dizaine d’années et traversant une période difficile dans leur vie conjugale. Ils rendent visite à leur ami Tomaso qui agonise dans une clinique milanaise de grand luxe. Ils prennent alors conscience que leur amour est en train de mourir…

La froideur architecturale des quartiers urbains désertiques, l’obscurité persistante, composent un environnement hostile dans lequel les personnages se débattent avec leurs problèmes. L’univers de la bourgeoisie citadine, la réussite sociale liée à l’essor industriel opposent matérialisme et valeurs. Antonioni s’attaque, à travers Giovanni incarné par Marcello Mastroianni, à l’érosion de l’idéal mâle italien. Le personnage de Jeanne Moreau, dont il décortique les états d’âme est souvent filmé de dos, pour mieux l’isoler dans son désœuvrement. Figure de la résignation, sa force réside dans sa dignité. Elle est douloureuse et vivante à la fois. L’enjeu de dramaturgie de “La Notte”, c’est la perte de tout ressort dramatique. On y retrouve l’attrait de l’artiste pour les temps morts et le vide.

3- Il deserto rosso (Le désert rouge), 1964

“Il deserto rosso” est son premier film en couleurs, une peinture de la névrose existentielle. Il est récurrent chez Michelangelo Antonioni de centrer son récit sur une femme, dans “Il deserto rosso” nous suivons Giuliana qui s’est mal remise d’un récent accident de voiture. Son attitude est souvent étrange : elle semble perpétuellement mal à l’aise, surtout dans l’usine que dirige Ugo, son mari, où elle erre souvent seule au milieu des machines. C’est là qu’elle rencontre pour la première fois Corrado Zeller, ami d’enfance d’Ugo…




Antonioni ausculte le psychisme d’une femme névrosée au milieu de paysages fantomatiques. Son œuvre s’imprègne de rouille, il filme tuyaux, métaux et fumées toxiques pour mieux matérialiser l’aliénation. La couleur trouve un sens esthétique et non plus expressif, c’est elle qui rythme le film. Plan après plan, le cinéaste affirme son credo : “Je veux peindre la pellicule comme on peint une toile, je veux inventer des relations entre les couleurs et non me contenter de photographier les couleurs naturelles”. Chaque plan de “Il deserto rosso” serpente entre Mondrian et Matta, Cesar ou Morandi et convoque Piero della Francesca, son peintre de prédilection. Le personnage principal n’est cette fois plus observé dans ses relations à autrui, mais plutôt dans son rapport à son environnement.

4- Blow Up, 1966

“Blow Up”, remporte l’année qui suit sa sortie la Palme d’or au Festival de Cannes. Adapté d’une nouvelle de Cortázar, “Blow Up” est le film de la prise de conscience. Celle de l’impuissance à s’approprier le réel : “Il y a un moment où l’on saisit la réalité, mais l’instant immédiatement après, elle fuit”, explique Antonioni. “Blow Up” signifie à la fois agrandissement, révélation et explosion. Dans le film, Thomas, photographe de mode désabusé et angoissé, pousse l’art de scruter jusqu’à l’obsession. Jusqu’à la névrose. Jusqu’à l’aveuglement.

Antonioni abandonne l’Italie pour se perdre dans le Londres des années 60, sa mode, ses peintres, ses contrastes. Son personnage principal est librement inspiré de la figure du photographe David Bailey. Il filme l’explosion pop, psychédélique, de la musique rock. L’effervescence de la jeunesse. L’impact de la publicité et de la mode sur le décor urbain et la vie quotidienne. Le réalisateur nous propose une réflexion sur l’objectivité de l’image et particulièrement de l’image photographique, c’est d’ailleurs le fil conducteur de ce long métrage. Est-il possible de capter la réalité, existe-t-elle au-delà de sa propre représentation…? À travers cette réflexion ambitieuse sur le pouvoir de l’image et par-delà ce film en forme d’énigme, c’est son propre statut de cinéaste qu’Antonioni questionne et remet en cause.

5- Zabriskie Point, 1970

“Zabriskie Point” est peut-être une rêverie plus qu’un film, une échappée fantastique qui ouvre une parenthèse dans la filmographie d’Antonioni. Le cinéaste choisit de livrer au spectateur ses propres conclusions, à travers la traduction de son émotion au contact de l’Amérique. Il filme un pays malade, où les déserts sont plus beaux que les villes, dans une vision apocalyptique d’une société qui alimente sa propre destruction par le progrès.

Ce film débute par une première scène à la précision quasi documentaire, qui nous fait entrer dans l’univers d’une jeunesse en colère. Il nous plonge dans la contestation qui grandit dans les milieux universitaires de Los Angeles. Le personnage principal, Mark achète un revolver et accompagne un de ses amis vers l’entrée du campus. Il est témoin d’une fusillade au cours de laquelle un étudiant noir est abattu par un policier. Mark s’apprête à riposter, mais quelqu’un tire avant lui. Le policier est tué. Craignant d’être poursuivi pour un meurtre qu’il n’a pas commis, Mark s’enfuit en volant un petit avion de tourisme….




Avec “Zabriskie Point”, le réalisateur italien revisite le mythe des grands espaces américains – le désert, immense – et par la même occasion celui du road-movie US des années 70. La société américaine, vue sous l’angle d’Antonioni devient caricaturale, asservissante, mais aussi destructrice. La solution que propose le cinéaste poète face à la décadence identitaire d’une société au bord de l’explosion : l’amour (éphémère). Mais même dans “Zabriskie Point”, film dans lequel Antonioni prend franchement parti, sa recherche plastique et esthétique est ce qui marque le plus : l’univers sonore très travaillé et la caméra stylisée et novatrice du cinéaste transcendent ainsi cette société stéréotypée.

Par le biais du thème de l’incommunicabilité, Antonioni nous présente dans ces 5 films une conception d’un cinéma de la durée littéraire qui rompt radicalement avec les codes de l’époque. C’est aussi l’occasion de découvrir l’Italie d’après-guerre, le Londres des années 60 et l’Amérique révolutionnaire post 68, à travers une caméra qui sublime avec justesse les espaces et les ambiances.

Bon visionnage !

Propos de Lauraleen Maciel

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