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Cannes 2016 : Entretien avec Charles Tesson : « nous cherchons la rupture, pas la tendance »

20 mai 2016
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Charles Tesson

69ème festival de Cannes

du 11 au 22 mai 2016

Comment se déroule la sélection de films pour le festival de Cannes ? Rencontre avec Charles Tesson, directeur artistique de la Semaine de la Critique, qui nous explique ses critères de sélection, ses choix, ses convictions.

Selon vous, quel est le rôle de la Semaine de la Critique ?

Plusieurs, mais le plus important, est celui de la découverte. Comme nous ne montrons que des premiers et deuxièmes films, l’objectif est de faire découvrir des cinéastes inconnus ou méconnus dont on espère qu’on entendra parler d’eux par la suite. C’est aussi la miase en valeur de pays dont on sent qu’il y a quelque chose qui bouge. Chaque année, après le premier écrémage, il nous reste 20 ou 30 films, et le dernier critère de sélection est souvent le pays d’origine. Nous sommes sensibles aux émergences cinématographiques et géopolitiques. D’où le choix cette année de Tramontane, un film libanais, ou d’Album de famille, un film turc.

Par rapport aux nationalités, votre coeur penche-t-il pour certaines plutôt que pour d’autres ? Thierry Frémaux n’a pas caché son peu de goût pour le cinéma argentin actuel, par exemple…

Nous n’avons pas les mêmes critères de sélection que Thierry Frémaux, tout d’abord. En s’arrêtant aux deuxièmes films, notre panorama est différent. D’ailleurs, si des cinéastes proposent un deuxième long-métrage qui est de qualité mais trop semblable à leur premier film, nous le retenons pas. Pour revenir aux nationalités, je suis très globe-trotter mondial. Je suis le cinéma asiatique depuis plus de 35 ans, et c’est un bagage avec lequel je suis arrivé à la Semaine. En revanche, j’ai choisi l’Amérique Latine, que j’ai pris comme territoire. Chaque sélectionneur s’approprie plus spécifiquement une zone géographique pour les premiers écrémages.
Il y a des pays qui parviennent toujours à nous surprendre par le dynamisme de leur production cinématographique. Ces dernières années, nous avons vu de bons films venus du Zimbabwe, par exemple. C’est toujours étonnant.
Du côté de l’Amérique Latine, je suis friand du cinéma chilien, de l’argentin aussi. En Asie, le Vietnam ou le Cambodge sont souvent pleins de pépites. Vous pourrez constater que si la Chine est l’un des plus grands marchés du monde, elle n’a aucun film à Cannes car c’est avant tout un cinéma de marché. Les premiers films ne sont pas bons. C’est un peu le cas aussi en Corée du Sud, dont le cinéma a des standards internationaux. Il est souvent plus intéressant d’aller voir du côté des Philippines, de Singapour, du Cambodge.

Aujourd’hui, quelles sont vos trois plus grandes fiertés ?

J’ai forcément un petit coup de coeur pour Jeff Nichols. Son premier film, Shotgun stories, était à Sundance, et nous avons récupéré son deuxième, Take shelter. Voir son film suivant, Mud, en compétition, nous a fait quelque chose. Sinon, il y a Nadav Lapid (L’institutrice), Santiago Mitre (Paulina)… Mais au-delà des auteurs, je suis fier qu’il y ait un bon état d’esprit. Les auteurs, les équipes, tous sont bien accueillis et heureux d’être là. Cela fait chaud au coeur de voir comme ce matin les équipes des courts-métrages discuter entre elles sur la plage. Il y a un “esprit Semaine”. Et puis il y a la découverte d’acteurs, comme cette année Garance Marillier dans Grave. On réentendra parler d’elle. L’an dernier, nous étions fiers d’avoir Swann Arlaud avec Les Anarchistes.

Comment se déroule la sélection des films ?

On reçoit environ 800 films, plus environ 300 que l’on voit dans des festivals au gré de nos déplacements. Par exemple quelqu’un a vu 60 films en 4 jours dans un festival canadien… On commence généralement en décembre avec certains films qui n’ont pas été pris à Berlin et qui nous sont proposés. Il est rare que nous les prenions mais les exceptions sont toujours possibles.
Nous sommes six ; chacun s’est vu attribuer une zone géographique. Les films sont vus par une personne, parfois deux. On a également une base de données de films en work in progress ; il faut parfois passer des coups de fil pour savoir si tel film sera prêt ou pas pour Cannes. Ensuite il y a des réunions du comité, des discussions. Puis arrive l’étape la plus compliquée : choisir qui inviter en premier. De cela dépendra tout le reste. Par exemple, si on choisit Diamond Island de Davy Chou, qui parle notamment de la jeunesse et des thématiques qui y sont liées, on ne va pas prendre d’autre film sur ce sujet. On cherche à éviter la redondance par rapport au thème, à l’esthétique, à ce qui est exprimé. La dernière sélection est très délicate : nous avons environ 30 à 40 films de qualité égale pour finalement n’en retenir qu’une poignée. On n’a pas envie d’avoir des cinéastes qui s’inscrivent dans la tendance, mais au contraire dans la rupture : il faut qu’ils aillent au bout de ce qu’ils sont eux-mêmes.

À titre personnel, combien voyez-vous de films à l’année ?

Au niveau de la Semaine, j’en vois entre 350 et 400. Mais je trouve aussi le temps de voir les films qui sortent au cinéma et de regarder des DVD. En revanche, je suis un marginal : je ne regarde pas des séries même si tous mes amis en parlent. Comme j’aime aussi le sport et que je regarde beaucoup de football, il ne me reste plus beaucoup de temps pour le reste. En terme de scénario et de dramaturgie, un bon match de football peut être aussi excitant qu’un film.

Comment se déroule la collaboration avec les autres sélections (Quinzaine, compétition) ? Vous arrive-t-il de vous battre pour certains films ?

Avec Edouard Waintrop (Quinzaine) et Thierry Frémaux (compétition), on se parle. On n’est pas en guerre, on échange des infos… On a des goûts à la fois similaires et différents. Comme nos critères divergent, on arrive souvent à ne pas avoir envie des mêmes films. En revanche, il arrive que certains films soient voulus très forts par les trois sélections. C’était cette année le cas de Grave, ou encore de Victoria. Là, chacun fait valoir ses arguments pour expliquer pourquoi “sa” sélection est la plus adéquate. En terme d’esprit, de taille de salle… En tout cas, nous n’avons pas les restes de la sélection officielle. Cela a sans doute été vrai dans le passé, mais maintenant chacun a des films que l’autre aurait souhaité avoir. La sélection officielle n’écrase pas tout.

 

 

Lucile Bellan (avec Vincent Courtade de cineclubmovies.fr)

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[Image 2016 © Semaine de la Critique]

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