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Carla Bianchi : “J’ai ressenti le besoin de mettre les rires au service de quelque chose”

Sarah Géran 14 décembre 2021
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C’est sur la péniche de La Nouvelle Seine que nous embarque Carla Bianchi pour un seul en scène urgent et désarmant. Migrando est un spectacle sur la crise migratoire et l’accueil des réfugiés, à fleur de mots, qui vient faire chavirer nos préjugés. Rencontre avec la comédienne à l’occasion de ce spectacle, à découvrir tous les samedis jusqu’au 18 décembre.

Après son spectacle Dolce France, Carla Bianchi nous propose ici un one woman show hybride au sens tout particulier. La comédienne italienne y parle des migrants et de l’accueil français, dans une mise en scène intimiste qui fait mouche. Le pari est réussi : elle réalise un tour de force et traite de ce “sujet un peu compliqué” avec intelligence et sensibilité. Du personnage raciste mais attachant de Madame Martinez, à celui engagé et émouvant de Vittoria Azzurra, le public passe du rire aux drames, et l’urgence de rire se transforme en urgence d’agir. 

Carla Bianchi part d’un constat cinglant : “Nous sommes tous migrants”. Elle allie ainsi  conviction personnelle et plume d’artiste pour un spectacle détonnant où finalement, nous sommes tous humains. Rencontre.

Pourquoi avoir choisi ce thème pour le spectacle Migrando ?

Le format du spectacle comique me parle énormément. J’ai fait beaucoup de stand-up et à un moment donné, le thème du quotidien ne m’a plus suffit. J’ai du faire une vraie introspection et me demander ce qui me motivait. J’ai ressenti le besoin de mettre les rires au service de quelque chose. Je me suis rendu compte que le rire était une arme puissante et j’ai eu cette prise de conscience : je suis une migrante de luxe. Je n’ai pas eu de réels problèmes d’intégration alors que je réalise que pour d’autres migrants, c’est le parcours du combattant. J’ai donc voulu creuser cette piste et je me suis lancée dans l’écriture de Migrando.

Tu es une italienne qui a immigré en France : qu’est-ce que cela t’a apporté ? Qu’est-ce que tu en retiens ? 

J’ai toujours été amoureuse de la France, j’idéalisais un peu le pays. Aujourd’hui, j’ai plus de recul, j’ai connu quelques petites frictions. Certaines situations administratives sont parfois compliquées lorsque l’on est un ressortissant étranger en France. Trouver une maison ou un appartement lorsque vos garants sont italiens, c’est plus difficile que ce que l’on croit.  Je trouve aussi que les français ont toujours besoin d’avoir raison, ils aiment taquiner leurs voisins mais n’apprécient pas d’être chambrés en retour. Il y a une certaine arrogance française, qui m’était invisible au départ, et qui m’apparaît maintenant parfois plus évidente. Mais c’est le jeu !

Ces expériences ont-elles enrichi l’écriture de ton spectacle ?

Oui, c’est d’ailleurs le cœur de mon écriture et la valeur de ma parole. Je n’ai pas vécu les mêmes difficultés que les migrants que l’on voit arriver de Méditerranée mais en même temps, il y a une vraie empathie. Je me sers de mon parcours personnel pour comprendre.
Par exemple avec le Covid, j’ai vécu, sur une période relativement courte, l’empêchement de rentrer chez moi. D’un seul coup, on se sent captif, on n’est plus libre. Cela a renforcé mon empathie avec les peuples migrants.

Qu’est-ce que tu aimerais que les gens retiennent du spectacle ?

Cela a beaucoup évolué avec le temps, au fil des réécritures. Aujourd’hui, je voudrais qu’il y ait une reconnaissance humaine. J’ai l’impression que l’on ne réfléchit plus que par concept: “le migrant”, “le raciste”, “le mec qui vote FN”. Ce sont des étiquettes, des chiffres, qui n’ont pas de vraie réalité. Je veux donner aux gens un regard humain sur ces concepts, peu importe la direction que cela prend. Et parfois, ça fait peur : Madame Martinez, personnage raciste opposé à l’accueil des migrants, a quelque chose de très humain, elle a ses propres contradictions et contrariétés, elle a une vie aussi. Tout comme le migrant, qui vit des histoires, même parfois pendant sa traversée infernale. C’est ce que je raconte dans le spectacle. 

© Christine Coquilleau

Selon toi, pourquoi est-ce important aujourd’hui de continuer à rire même des sujets les plus dramatiques comme la migration ?

Il faut toujours savoir pourquoi on fait des blagues. En tant qu’artiste, on a une responsabilité lorsqu’on fait une blague. Bien sûr on peut faire des blagues de mauvais goût mais ce n’est pas gratuit, il faut un fond derrière. La blague gratuite sur un thème choquant, elle n’a pas d’ancrage et ça ne tient pas la route. Je veux faire toutes ces blagues parce que je veux faire évoluer les choses. C’est le projet global qui justifie que la blague a un sens. On vit dans un monde où tout est fragmenté, l’information est souvent partielle. Lorsque l’on voit des extraits de spectacle, des mini-vidéos par exemple, on n’a jamais la totalité du projet. Et on s’habitue à la gratuité. Alors que le projet dans sa globalité n’est pas gratuit, c’est ce qui compte.

Ta réplique préférée du spectacle ?

J’aime bien cette phrase de Madame Martinez :”Et tout ça pour se retrouver avec 500€ de retraite et ton fils qui va aux Restos du Cœur”. C’est la phrase qui montre sa blessure, qui l’humanise. En réalité, ce n’est pas moi qui l’ai écrite. Elle me vient de l’interview d’un gilet jaune qui m’a beaucoup touchée. C’était un monsieur assis à un rond-point, assez costaud et très en colère. Un titan, le mec aurait pu faire la révolution à lui tout seul. Et lorsqu’il est interrogé par le journaliste, il s’écroule, il fond en larmes. C’était hyper déroutant, je me suis dis que c’était intéressant d’avoir cette profondeur dans un personnage. La blessure qu’on ne voit pas venir.

Comment définirais-tu ton spectacle ?

Il ne s’agit pas d’un spectacle de stand-up mais d’un seul en scène dans lequel on a eu l’ambition de mélanger les langages, en s’amusant avec des séries de genres : c’est une expérience. On commence avec du stand-up et on finit sur L’Odyssée d’Homère. J’ai adoré mélanger la quotidienneté du langage avec le parlé plus poétique, qui se joue de la langue française.

Quelle est la suite pour toi ? 

On a toujours de grands projets, il faut essayer de les réaliser. On aimerait faire une date dans un grand théâtre, dans lequel on pourrait sensibiliser un maximum de personnes. L’idée serait qu’ils puissent soutenir le projet de Riace France, une association de promotion des projets d’accueil et d’accompagnement en synergie avec les français (ndlr : Carla est la porte-parole culturelle du fond de dotation Riace France). J’aimerais aussi jouer dans le plus de villes possibles en France.

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