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“Fin de partie” : une réussite historique

© Sébastien Mathé

L’opéra de György Kurtág entre au répertoire de l’Opéra de Paris dans la mise en scène éblouissante de Pierre Audi et sous la direction musicale de Markus Stenz après avoir été créé à Milan. Une oeuvre puissante qui colle à la pièce crépusculaire de Samuel Beckett en opérant une extraordinaire fusion entre les mots et les notes.

Une rencontre essentielle

© Sebastien Mathé

C’est en 1957 que György Kurtág découvre l’œuvre de l’Irlandais Samuel Beckett au Studio des Champs-Élysées et qu’à partir de cette date il se plonge de manière abyssale dans ce monde ou le théâtre rejoint la poésie du néant, ou les mots ont la même couleur que le silence, la respiration ou le battement d’un cœur. Après la guerre totale achevée par les destructions de 1945, la prose de Beckett magnétise le Hongrois Kurtág alors installé à Paris, sensible aux problématiques d’exil et de totalitarisme. Pourtant, c’est seulement soixante ans après, à 91ans, que le compositeur achève Fin de partie-Scènes et monologues, opéra en un acte, avec la volonté délibérée de ne pas toucher au texte dont il conserve plus de la moitié des dialogues originaux. Beckett était d’une exigence intraitable concernant la mise en scène et le traitement de ses textes, et ne supportait aucun apport musical. Grâce à Alexander Pereira, le projet d’un opéra “collant au texte” originel naquit avec un travail d’une précision infinie concernant le travail des voix et de l’orchestre qui devait opérer selon une partie d’échecs, par imprégnation ou retrait, colorée par un éventail de références musicales de Debussy à Francis Poulenc, en respectant au plus près la prosodie et la musicalité de la langue française.

Encore vivant

© Sébastien Mathé

Dans cette production créée à la Scala de Milan puis à l’Opéra d’Amsterdam, et que le public parisien a la chance d’admirer aujourd’hui alors que le compositeur est encore en vie, quatre personnages attendent la mort dans une immobilité transpercée par le langage, les cris et les ricanements. Nell et Nagg ont perdu leur jambes dans un accident de tandem, et émergent chacun d’une poubelle constituée par un baril de fuel. La contralto Hilary Summers et le ténor Leonardo Cortellazzi campent ce couple attendrissant de vieux parents clochardisés, dont seuls les visages et les bras sont visibles dans cet espace noir à la lumière rasante. Du coup, Nell et Nagg sont les figures célestes de cet enfer sur terre qui résiste à la béatification par absence de Dieu. Leur fils, Hamm, est cloué sur une chaise roulante, la tête couverte et le visage protégé par un mouchoir sanglant. Frode Olsen, lui aussi créateur du rôle à Milan, impressionne beaucoup avec l’autorité de sa profonde et cassante voix de basse aux sonorités métalliques, en dominant de sa grande carcasse l’intrigue de cette histoire où chacun tente de gagner un dernier espace de vie.

Un cafard gesticulant

© Sébastien Mathé

Le quatrième larron de cette farce macabre, Clov, est le seul personnage entièrement mobile. Le baryton Leigh Melrose imprime à son personnage une puissance dramatique magistrale, haletant comme un animal blessé claudiquant comme un cloporte, effrayé et effrayant domestique maltraité par son maître et par le monde, qui entre et sort de cette maison hantée sans portes ni fenêtres. On est saisi par cette pantomime kafkaïenne et l’opéra prend ici la force majestueuse d’un désespoir dantesque. C’est tout le talent et l’intelligence du metteur en scène Pierre Audi, qui pour avoir suivi un compagnonnage avec le compositeur, respecte avec passion et délicatesse la force de l’œuvre. À la tête de l’orchestre, Markus Stenz dirige en orfèvre cette partition chambriste qui mélange les instruments classiques et populaires, cymbalum ou cithare sur table, cor ou Bayan hongrois, imitant les bâillements, les cris ou les rires des personnages, chambre d’écho magnifique de ces souffles de vie et ces râles de bonheur et d’ironie qui bataillent pour survivre.

C’est tout simplement magnifique.

Hélène Kuttner 

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