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“Parallax” à l’Odéon ou le choc des identités et des revendications

Hélène Kuttner 12 octobre 2024
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©Nurith-Wagner-Strauss

Sur le plateau de l’Odéon-Berthier, dans le cadre du Festival d’Automne, le metteur en scène et réalisateur hongrois Kornél Mundruczó et ses comédiens du Proton Theatre déploient les béances du traumatisme de la Shoah dans une famille éclatée. Trois personnages, une vieille mère dépositaire de la mémoire, née à Auschwitz, sa fille qui veut profiter de son identité juive pour s’installer à Berlin avec son fils et ce dernier, revenu enterrer sa grand mère en clamant haut et fort son homosexualité dans un pays qui réprime toutes les revendications LGBTQUI. Au croisement de toutes ces revendications, une création puissante, crue et dérangeante, qui ne peut laisser indifférent.

Née à Auschwitz

Pour Kornél Mundruczó, metteur en scène, réalisateur de films et scénariste, toute est une question de perspective. Dans un appartement de Budapest, une vieille femme juive, dont les capacités mnésiques semblent atteintes, prend son petit déjeuner. Sa démarche lourde, ses gestes hésitants, son regard apeuré sont retransmis en gros plan sur les deux écrans qui font face au public. L’appartement est mis en boite comme un studio de cinéma dont les deux techniciens s’activent à l’intérieur. Survient une jeune femme, sa fille, fraîchement débarquée de Berlin où elle a choisi de vivre avec son jeune fils. Son objectif : tenter de convaincre sa mère d’accepter du gouvernement hongrois une médaille de rescapée des camps. En effet, la vieille dame est née à Auschwitz d’une mère déportée puis relativement « protégée » par le Docteur Mengele en raison de la blondeur de ses cheveux et de ses yeux clairs. Pas question de se déclarer aux autorités hongroises clame la vieille femme, habitée au fond d’elle par la série des traumatismes, exclusions, vexations terribles subies durant toute sa vie, durant et après la guerre, sous la chape de plomb de la Hongrie communiste. 

L’échappée belle à Berlin

©Nurith-Wagner-Strauss

De chaque coté de la scène, nous voyons alternativement la mère échevelée et accrochée à sa mémoire profonde, et sa fille, décidée à ne pas se laisser envahir par ce fardeau mémoriel et traumatique, en s’achetant une nouvelle vie à Berlin où elle pourra, grâce à des fonds versés aux enfants des déportés, payer une école privée à son fils. Les deux cadres où sont projetés corps et visages sont séparés par un mur gris. « Tu ne m’as jamais prise dans les bras » crie la fille à sa mère. Le pouvait-elle, elle dont l’enfance a été confisquée par les camps et la violence des soldats nazis ? C’est par ce dialogue empêché, cette difficulté dramatique de communiquer que débute le spectacle avec cette longue scène qui s’achèvera par un déluge au sens biblique : des trombes d’eau jaillissent dans l’appartement grâce à un impressionnant processus technique, laissant cet univers et cette mémoire se dissoudre totalement, entraînant dans sa dissolution tous les objets de mémoire traumatique de la Shoah.

Partouze gay

À la faveur de cette tornade purificatrice, le spectateur se retrouve ensuite assez rapidement dans une partouze gay, peu après la mort de la vieille femme. Un jeune et beau garçon blond, son petit-fils, débarque en short et casquette de Berlin pour enterrer sa grand-mère selon le rite juif. Mais le jeune homme profite de l’appartement chargé d’histoire de sa grand-mère pour y organiser une partie de jambes en l’air avec des partenaires homosexuels de tous âges qui déboulent, équipés des accessoires utiles à cette bacchanale au réalisme débridé et d’une surprenante crudité. Saluons, comme dans la première partie, la qualité et l’engagement des acteurs magistraux, qui travaillent selon des improvisations en participant à l’écriture du texte de Kata Wéber. Ce que l’on voit sur le plateau, dans une séquence d’une longueur qui peut paraître dérangeante, atteste d’une libération sexuelle totale, d’une provocation avec consommation outrageuse de drogues et d’alcool. Il faut pourtant considérer cette scène dans la perspective du régime politique actuel d’extrême droite de la Hongrie qui affiche un des taux de discrimination les plus élevés d’Europe vis à vis des personnes LGBTQI. Chacun des protagonistes de cette soirée veut aussi échapper à sa propre histoire, faite de sacrifices et de renoncements.

Réconciliation

©Nurith-Wagner-Strauss

C’est dans la dernière partie, avec l’arrivée de la mère du jeune homme dont les cheveux noirs ont blanchi, que la communication entre générations va pouvoir renaître, non sans douleurs ni invectives. Après la bacchanale et l’étalage des corps nus en pleine lumière, après la débauche de jeux pornographiques, mère et fils se mettent au visage leurs vérités tout en clamant chacun leur propre identité. Ce dernier acte est aussi le plus poignant, car il concentre, après cette série de scènes chaotiques et violentes, tous les non-dits et le ressenti intime. Les larmes et le sang peuvent couler, et les corps d’une mère et d’un fils s’attendrir l’un contre l’autre. La difficile revendication identitaire se brise en mille morceaux, comme c’est le cas pour bon nombre d’entre nous. Et c’est le sens de ce spectacle à l’outrance expressionniste dont il faut saluer la qualité émotionnelle et dramatique. 

Hélène Kuttner 

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