Pierre et Jean – Théâtre du Lucernaire
C’est un des romans les plus violents de Maupassant, mêlant la haine quasi fratricide à la spéculation, l’adultère et le mensonge, le tout si inextricablement enchâssé dans une société de petits bourgeois à la douteuse respectabilité que la seule issue possible demeure la fuite. Jean vient d’hériter d’un ami de ses parents qui ne lègue rien à l’autre frangin, Pierre. Ce dernier va cheminer sur les sentiers du doute, du soupçon au point de finir par faire avouer à sa mère que le généreux donateur n’est autre que le père de l’heureux bénéficiaire. Une haine va naître entre les deux frères, les langues vont se délier et les rancoeurs enfouies éclater au grand jour…
Toujours délicat d’adapter à la scène un matériau romanesque, qui plus est d’un auteur qui ne s’est pratiquement jamais essayé au théâtre (qui se souvient des quatre ou cinq pièces de Maupassant encore moins connues que celles de Zola ?). De belles idées de mise en scène émaillent toutefois le travail de Vica Zagreba pour retranscrire toute la charge cynique du romancier dans son portrait de la société bourgeoise provinciale (l’obséquiosité du notaire notamment, qui n’est pourtant pas présente dans le roman). Les accessoires, en particulier les cadres confèrent une fidélité à Maupassant, portraitiste devant l’éternel et pourfendeur des mentalités contenues dans un cadre à ne jamais dépasser. La scénographie est également réussie, alerte, ludique et très cinématographique.
On regrette juste un manque de souffle dans cet ensemble. Les comédiens, même si plutôt convaincants, semblent se contenter du minimum et ne pas faire ressortir cette torture que vivent les personnages du roman, en particulier les deux frères et leur mère. C’est d’ailleurs ce qui manque le plus à ce spectacle : l’explosion des sentiments qui fait l’objet chez Maupassant d’un crescendo d’une violence inouïe. Si l’on excepte un vrai coup de sang chez les deux frères, rien ne vient vraiment appuyer ce qui chez le romancier constituait le nœud de son récit, cette hargne mêlée de remords, cette haine amoureuse de Pierre pour sa mère. La metteur en scène aura réussi à être fidèle à l’esprit de Maupassant et pas seulement à Pierre et Jean (il suffit de relire certaines de ses contes normands pour s’en convaincre) mais sans approfondir cette exacerbation des sentiments. Un ensemble très propre, presque trop qu’on aurait aimé plus impitoyable.
Franck Bortelle
Pierre et Jean
De Maupassant
Mise en scène et adaptation : Vica Zagreba
Avec Vahid Abay Régis Bocquet, Guillaume Bienvenu en alternance avec Nicolas Martzel, Franka Hoareau, Laure Portier, Sébastien Rajon
Du 3 avril au 8 juin 2013
Du mardi au samedi à 18h30
Réservation en ligne ou par tél. 01.45.44.57.34
Durée : 1h15
Théâtre du Lucernaire
35, rue Notre-Dame des Champs
75006 Paris
[Photo : © Franck Dimier]
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