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Robyn Orlin : « Parfois, je dois revenir à l’esthétique pour ne pas être uniquement dans la dimension politique. »

Robyn Orlin © Jérôme Séron

Oh Louis…We move from the ballroom to hell while we have to tell ourselves stories at night so that we can sleep… la nouvelle création de la chorégraphe sud-africaine Robyn Orlin, sera présentée à l’Espace Pierre Cardin du 15 au 19 février. Rencontre avec une chorégraphe prête à en découdre avec le Roi Soleil.

Oh Louis… © Studio habeas corpus

Il y a dix ans, vous chorégraphiez l’Allegro il penseroso ed il moderato d’Haendel à l’Opéra de Paris. Aujourd’hui, pour votre nouvelle création Oh Louis… sur Louis XIV, vous  travaillez avec Benjamin Pech, danseur étoile, qui a fait ses adieux à l’Opéra en 2016. Pourquoi ce choix ?  

C’était très important de travailler avec une personne qui était passée par ce système français, l’Académie Royale qui deviendra l’Opéra national de Paris, créée par Louis XIV.

 

En plus de Benjamin Pech, il y a le claveciniste Loris Barrucand. Tous les trois, vous êtes de culture et de génération différentes. En quoi cela a-t-il nourri le processus de création ?

Pour moi cela amène énormément. Dans cette pièce, je m’intéresse au code noir. Loris savait que Louis XIV en était l’instigateur, ce qui n’était pas le cas de Benjamin, mais maintenant il le sait ! Loris représente également la nouvelle génération de l’esthétique baroque et j’ai réalisé qu’il avait une très bonne connaissance du monde dans lequel il évolue. Benjamin aussi, évidemment, mais c’est intéressant de voir comment l’enseignement de l’histoire a évolué d’une génération à l’autre.

Oh Louis… © Robyn Orlin

Quel regard portez-vous sur Louis XIV ?

Il a permis à des choses très importantes de croître, mais il en a également empêchées beaucoup de se développer. Pour diverses raisons, il a encouragé un certain formalisme. Louis XIV était paranoïaque, il ne croyait pas en lui. Durant le processus de création je voulais voir si c’était possible pour lui de changer et d’être plus humain. C’est ce que j’ai essayé de chercher dans la pièce. Mais je ne sais si pas si c’est possible, étant donné qu’il a créé beaucoup de haine, de préjudices, et cela est très difficile à déconstruire. Pour être dans sa cour il fallait aussi occuper un certain rôle, financièrement, socialement, géographiquement. Cet élitisme est fou et anormal ! Je trouve que cela est toujours présent dans la culture française.

 

En parlant de votre précédente création And so you see… vous disiez avoir « colonisé Mozart ». Est-il ici question de coloniser Louis XIV ?

Absolument ! C’est fragile, mais j’ai essayé de le faire. Cependant, je voulais un beau résultat. Pour moi il s’agissait de défaire, donc pas vraiment de coloniser finalement.

And so you see… © Jérôme Séron

And so you see… sera  présentée à Johannesburg  en mars prochain, dans le cadre du Festival Dance Umbrella. C’est la première fois qu’elle sera présentée en Afrique du Sud. Quel est votre ressenti ?

J’ai un peu peur. J’y suis vue comme une artiste blanche et Albert [Albert Khoza, le performeur de la pièce] comme un artiste noir. Nous avons une relation compliquée, bien que très belle. Je ne sais pas comment cela va être interprété par la plupart des gens et c’est hors de mon contrôle.

 

Vous êtes née en Afrique du Sud, vous y avez grandi. Aujourd’hui, vous vivez en Europe. Quel regard portez-vous sur la situation actuelle en Afrique du Sud ?

C’est très dur maintenant. Les rues n’ont pas été rendues au gens. Cela me rend très triste. Ce n’est pas ce pour quoi nous nous sommes battus. Ce n’est pas ce pour quoi je me suis battue. Je ne suis pas certaine de ce qui devrait se passer, mais j’ai toujours senti un besoin de tout reprendre à zéro. Reconstruire. Cependant j’ignore si c’est possible.

Ce qui est certain, c’est que les Blancs n’ont pas été encouragés à regarder leur participation dans l’Apartheid et les Noirs n’ont pas été en mesure d’aller dans une nouvelle stratosphère et d’être sur un pied d’égalité avec les Blancs. Tant que cela n’arrivera pas, la situation ne peut pas s’améliorer.

Robyn Orlin © Jérôme Séron

Ces thèmes sont présents dans vos créations. Oh Louis… ne fait pas exception.

Je pense que c’est très important, surtout quand on vit en Europe, de parler du rôle de cette dernière dans le chaos qui règne dans certains pays du tiers monde. Les Européens, en tant que  « premier monde », ont toujours eu une attitude paternaliste, particulièrement envers les Africains. C’est très important pour moi de parler de cela. La question des réfugiés est majeure. La question « être un étranger » l’est également.

 

Herbert Marcuse affirme qu’une œuvre doit être poétique pour avoir une portée politique et révolutionnaire. Qu’en pensez-vous ?

Je suis totalement d’accord. C’est très important. Parfois je dois m’arrêter et revenir à l’esthétique pour ne pas être uniquement dans la dimension politique.

 

Pouvez-vous nous parler de votre prochaine création ?

Ma prochaine pièce est un opéra baroque. Deux courts opéras, en fait : Pygmalion ainsi qu’Amour et Psyché. Pour le premier, je me suis penchée sur le monde de l’art, la beauté, et le narcissisme de l’artiste. Pour Amour et Psyché, je travaillerai avec des danseurs et des chanteurs d’opéra. Il y aura des montages vidéo en temps réel pour montrer l’esthétisme africain. Il sera également question de politique. Albert [Khoza] sera dans la pièce. Un projet très intéressant !

 

Propos recueillis par Joséphine Pannier Léonard

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