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Milko Lazarov : “Le cinéma est un art brutal”

Julia Wahl 19 novembre 2018
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Milko Lazarov est un réalisateur bulgare, auteur du film Ága, qui raconte la vie d’un couple en Iakoutie, région turcophone de la partie septentrionale de la Russie. Nous l’interrogeons ici à l’occasion de la sortie de ce film.

Ága est le premier film étranger se déroulant en Iakoutie. Vous parlez de « piège ». Quelles étaient vos craintes ?

Ce piège, c’est tout simplement quelque chose de très difficile, voire impossible à réaliser : une histoire très simple qui doit durer une heure, ce qui m’amène à une grande panique. Je me retrouve plus loin qu’habituellement. Comment y parvenir ? Il y a des forces invisibles, insaisissables, qui nous aident à y arriver.

Vous dites avoir construit votre scénario de façon à ce qu’il amène vers le plan final. Avez-vous construit votre film de façon chronologique ou en commençant par la fin ?

L’épisode final a été tourné à la toute fin. Cette mine se trouve à mille kilomètres de l’endroit où on a tourné le film et l’intérieur a été tourné ailleurs, en une journée parce qu’on ne pouvait pas filmer la mine. On était très peu nombreux à tourner cette scène.

© DR

Vous dites, à ce sujet, avoir trouvé la photographie de cette mine sur internet. De façon générale, quelle est la part des recherches documentaires dans votre écriture ?

C’est très important d’être très préparé pour commencer un film. Des petites choses que l’on apprend par hasard peuvent devenir très importantes et être intégrées dans la suite du travail.

C’est un film très visuel, avec les nuances de blanc et de bleu, mais aussi très sonore. Par exemple, le couteau scande la vie du couple. Que sens lui donnez-vous ?

Je donne un sens à absolument tout ce que j’utilise dans le film. Il n’y a pas un détail dépourvu de charge symbolique. Dans le studio de postproduction, en Allemagne, ils étaient très surpris, et même inquiets par notre façon de travailler, le fait que je sois là pendant tout le processus, pour chaque plan, avec la monteuse. Mon travail est très précis.

J’ai d’ailleurs cru comprendre que votre monteuse était aussi votre productrice.

Oui, vous avez bien compris ! C’était une étudiante à moi, nous travaillons très étroitement ensemble. Il n’y a pas une seule minute où l’on est séparé durant le tournage ou le processus de production.

Vous comparez aussi votre film à une « course de fond ». De fait, c’est un film lent, grâce notamment à une grande attention à des gestes quotidiens, à des détails. Quelle place leur accordez-vous ?

Le diable est dans le détail [rires] ! C’est une blague… Mais, si vous vous souvenez de votre première rencontre amoureuse, ne vous rappelez-vous pas de détails qui ont eu beaucoup d’importance par la suite ? Le processus de création d’un film est le même.

© DR

Vous avez puisé à de nombreuses sources littéraires, qu’il s’agisse de mythes ou de l’explorateur norvégien Roald Amundsen. Vous définiriez-vous comme un poète, un conteur ou un romancier ?

Le cinéma est un art à part, qui englobe les autres arts. Je ne suis d’ailleurs pas sûr que ce soit un art : est-ce un art ou une performance ? Je ne saurais pas me définir précisément. J’essaie tout bêtement de faire ce que j’aime vraiment parce que c’est le plus simple. En ce qui concerne la littérature, tout ce qu’on lit laisse une empreinte, même inconsciente. Les romans, contrairement aux films, sont comme des entretiens avec leurs auteurs.

Pourquoi douter que le cinéma soit un art ?

C’est un processus assez brutal. Contrairement à la littérature, ça ne se passe pas dans le silence des autres, mais dans la brutalité. La communication intime, présente en peinture ou en musique, est différente, voire absente, au cinéma.

Vous parlez beaucoup de mélancolie ou de « mélancolie sourde ». Est-ce lié à votre travail sur le grand Nord ? N’a-t-on tout bêtement pas tendance, en Europe, à associer le grand Nord à la mélancolie ?

Oui, c’est tout à fait ça, j’aime beaucoup le Nord, ça me convient.

Parce que c’est triste ?

Oui, triste, mais aussi source d’inquiétude. C’est peut-être une pose [sourire en coin], un sentiment auquel je m’associe par pose.

Est-ce que les artistes ne posent pas toujours un peu ?

Je ne peux pas parler pour les autres ! En ce qui me concerne, je me demande si cette tristesse n’a pas pour but de me plaire à moi-même. Mais vous avez raison : tout le monde fait ça, et pas seulement les artistes.

Si on le regarde précisément, votre film semble se diriger plus vers la nostalgie que la mélancolie. Votre tristesse serait-elle liée au fait d’entrer dans une époque que vous ne comprenez plus ?

Les catégories en jeu dans le récit sont davantage d’ordre personnel que liées au temps. Elles renvoient à la personnalité des gens. Je trouve que le monde va vers la simplification. On en arrive à une formulation très simple, moyen / plaisir, argent / plaisir. Oui, c’est cette bataille qui continue entre l’ancien et le nouveau. L’ancien est plein de sagesse, le nouveau est plain d’espoir. Et, pour finir, la vie d’une personne est ponctuée essentiellement de ces deux faits : la naissance et la mort.

Julia Wahl

 

À découvrir sur Artistik Rezo :

Aga – un film de Milko Lazarov

 

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