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Simon aux mains d’argent

Baudouin Vermeulen 15 mars 2021
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© Frédéric Monceau

Tresser, tondre, désépaissir… sculpter. Où s’arrête l’artisanat, où commence l’art ? Regard sur Simon Chossier, créateur qui sonde le monde par le prisme du cheveu.

Premiers émois capillaires

À 26 ans, il appartient à la nouvelle génération de coiffeurs “haute couture” dont le travail tend vers l’art au fil de leur carrière. On ne fait plus seulement appel à eux pour un savoir-faire, mais pour une vision nouvelle – hors-norme – qui puisse inspirer un projet artistique.

“Chine” © Denis Chossier

Simon Chossier a cette particularité d’avoir grandi dans des régions du monde profondément marquées par la tradition (Chine, Cuba, Guyane ou encore Madagascar), là où la chevelure revêt un sens bien particulier. De ces primo expériences, il a gardé une fascination pour l’Autre. Il puise son inspiration de ces différences physionomiques et culturelles rencontrées au cours de sa vie.

Salon de province, industrie du luxe, atelier expérimental

Auvergnat expatrié à Paris, l’apprenti coiffeur devient coiffeur de luxe en passant par Acte Académie, d’où il ressort major de promo. C’est la seule école délivrant un diplôme du secteur certifié par l’Etat. Dès qu’il en a l’occasion, il se joint à des projets à vocation artistique (résidences, performances, spectacles) pour exprimer sa pleine créativité.

© Clément Barzucchetti

Il coopère ainsi avec des pointures du cheveu, dont le “coiffuriste” Charlie le Mindu. Le reste du temps, il le consacre à l’expérimentation de la matière, à concevoir des perruques en trompe-l’œil surréalistes, confrontant cheveux de tous horizons à la glaise, la glue, l’argile, au végétal et au latex.

Le cheveu, médium artistique du vivant

Matière organique en mouvement constant, qui évolue par cycle en fonction des saisons, qui se nourrit d’éléments extérieurs et qui meurt, en moyenne, à l’âge de quatre ans… Le cheveu vit sa vie indépendamment de la nôtre. À la manière d’un sculpteur sur glace, Simon est un créateur de l’éphémère, impuissant face à l’autonomie de la nature. En cela, ses œuvres ne s’inscrivent pas dans le temps – théoriquement.

“Transmutation” © Éric Maes

La création capillaire se retrouve en effet bien souvent au cœur d’une collaboration avec les arts de l’instant capturé (photographie, cinéma) : « Le cheveu est d’autant plus vivant qu’il crée une effervescence créative autour d’un individu », précise-t-il.

Mais création ne rime pas toujours avec art. La coiffure reste affiliée à la mode et cette dernière persiste sur la liste d’attente des arts reconnus. Les caractéristiques qui lui font défaut : sa finalité « utile », qui s’oppose à celle de l’art, et les contraintes marchandes qui brident la liberté des créateurs.

“Expérimentation” © Frédéric Monceau

Or, qu’en est-il d’un vêtement ou d’une coupe de cheveux, lorsque ceux-ci s’émancipent de leurs fonctions usuelles ? L’un s’expose en musée ; l’autre est photographié ; les deux sont sujets à performance. « Art ou pas, ce dont je suis sûr, c’est que je travaille au quotidien avec des artistes : stylistes, maquilleurs, etc », estime-t-il.

L’identité au cœur du processus créatif

Si l’équipe qui s’active autour du sujet coiffé se compose d’artistes, il arrive que le sujet lui-même en soit un. En tout cas, Simon se voit fréquemment sollicité par des célébrités en quête de nouvelle identité, si ce n’est le simple désir de prêter leur corps à un autre art que le leur.

“Surreal Kailand – modernity is one of the key”, cover story pour GQ © Frédéric Monceau

Dès lors, la personnalité du modèle constitue le rouage central du processus créatif. « Composer à partir d’individus comme Kailand Morris [le fils de Stevie Wonder] est particulièrement stimulant car l’art est ancré dans leur ADN. Leur style, leurs gestes, tout est imprégné d’une énergie qui nous montre le chemin à suivre. »

La recherche plastique, dada de l’artiste perruquier

Des cheveux 100 % naturels, certes, mais transformés. Dans la conception de ses perruques, Simon mène un travail de fond revêtant, coup sur coup, les casquettes de maquettiste, coloriste, plasticien, maroquinier, géologue…

« Pour le magazine Narcisse, Yelle [Je t’aime encore ft. Charlie Le Mindu] devait dégager une énergie contradictoire, tranquille et déchaînée à la fois. J’ai alors conçu cette perruque volcanique d’1,70 m en m’inspirant des cheveux de Pélé, une lave à l’aspect filandreux. Pour la couleur, je travaille toujours avec des Pantone qui m’aiguillent vers de nouvelles nuances et substituts. » Après tout, quoi de mieux qu’un auvergnat pour concevoir un volcan ?

Absorption, expression d’un esprit échevelé

Jamais, nous confie Simon, il n’avait si bien atteint ce but auquel tout artiste à ciseaux aspire : exprimer avec les cheveux ce qu’il ne peut avec des mots. Nous lui laisserons tout de même le mot de la fin, à propos d’une œuvre construite avec le photographe Frédéric Monceau.

“Absorption” © Frédéric Monceau

« L’absence de visage annule l’émotion pour absorber l’humanité du sujet et mettre le cheveu au centre de l’attention. Ce n’est plus une personne prise en photo, mais un travail de composition avec la chevelure au centre du processus créatif. Pour moi, c’est la preuve que le cheveu est capable de véhiculer un message au moins aussi fort que n’importe quel autre médium », conclue-t-il.

Baudouin Vermeulen 

Retrouver Simon Chossier sur Instagram et son site Internet. 

À découvrir sur Artistik Rezo : Laetitia Ky : une sculpture d’un nouveau genre, de Soraya Assae Evezo’o

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