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Léa Rivera Hadjes : “J’éprouve le besoin d’imager le monde”

Coralie Halgand 23 avril 2020
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VV aux Grandes Serres de Pantin – Septembre 2019 © Léa Rivera Hadjes

Léa Rivera Hadjes met en image un monde sincère et mélancolique, celui dans lequel on se plonge en regardant le paysage défiler, assis au fond du train. Artiste plasticienne de 30 ans, Léa ne cesse d’expérimenter les médiums au sein des Grandes Serres de Pantin, pour notre plus grand plaisir !

 Quelle a été ta première expérience avec l’art ?

Ma tante est plasticienne, mon père écrivain et musicien, ma mère et ma grand mère férues de littérature et d’art moderne. Ça crée un bain plutôt favorable et j’ai toujours été encouragée à créer. Petite, j’étais fan des livres de Claude Ponti, je dessinais de petits personnages étranges partout, même sur les murs et les draps. La literie s’en souvient encore !

Qu’est-ce qui t’as amené à devenir artiste?

Je crois que c’est le besoin que j’éprouve à imager le monde – besoin de capturer des moments, des sensations et de les retranscrire à ma manière, à travers différents médiums.

ITT2 panneau lumineux, pointe sèche sur papier, alugraphie sur bâche, métal, bois, 94x78cm, 2020 © Léa Rivera Hadjes

D’où tires-tu ton inspiration ?

Pendant mes trajets quotidiens : à pied, en RER, en métro, en voiture, de jour, de nuit, à toutes les saisons. Pendant ce que l’on peut appeler la “migration pendulaire” – ces trajets quotidiens, cycliques et répétitifs, ces entre-deux. Ils ne sont pourtant jamais ennuyeux à mes yeux. Le temps est en suspend, l’espace un non-lieu. Moments méditatifs, ces trajets deviennent une source d’inspiration.

ABDQ 1 & 2 alugraphies et pointes sèches sur papier bâche tissus, 2019 © Léa Rivera Hadjes

Quel est ton processus artistique ?

Mon processus est toujours assez similaire pour chaque pièce. Pendant ces voyages, je glane des images, qui me servent par la suite de matières premières pour des estampes et des installations. Je les redessine puis les grave ou les trame pour en faire des alugraphies. Ce sont un peu comme des photogrammes du quotidien. Je capture des paysages urbains, des sensations lumineuses, de mouvements ou même sonores, pour ensuite les décomposer et recomposer par l’image imprimée.

Dessins de confinement série PL Edition, 21x30cm, 2020 © Léa Rivera Hadjes

Tu fais à la fois du travail d’impressions, de gravures, d’alugraphies, de dessins et d’installations vidéo. Pourquoi une telle variété de techniques ?

Pour moi, toutes ces techniques sont intrinsèquement liées, elles permettent de travailler le multiple, de travailler en série, elles donnent lieu à des jeux de superposition, d’assemblage et de développement. 
Je suis aussi attirée par la gestuelle que ces techniques d’impression impliquent. Je ne ressens pas ces allers-retours comme des gestes mécaniques et contraignants, mais plutôt comme une chorégraphie qui entraine tout mon corps et mon esprit. Je parle beaucoup de l’espace urbain en ce moment, ça me paraissait donc naturel de l’évoquer aussi par le volume, d’utiliser l’espace autrement.

Que veux-tu transmettre à travers tes œuvres ?

Il est important de poser un regard curieux sur notre paysage urbain sans cesse en mouvement. Il regorge de beauté mais aussi de révélations sociales, d’inégalités, de manipulations. Il est bon de parfois s’arrêter sur des détails qui peuvent paraître insignifiants mais qui, mis en lumière, sont comme des activateurs de sensations et permettent un regard sur notre condition de créature sociale.

Peux-tu nous présenter une de tes œuvres ?

Cette œuvre est le point de départ du travail que j’effectue actuellement, le début de mes recherches sur la migration pendulaire. Initialement, j’avais réalisé une série de quatre diptyques de gravure à la pointe sèche sur papier. J’ai décidé de les imprimer à la suite sur deux grands pans de tissus, comme une pellicule déroulée ou un paysage urbain qui défile à la fenêtre d’un train. Il m’est apparu évident que la narration se changeait en sensations et la série d’images est devenue une pièce unique autonome. La fluidité du tissu et sa matérialité permettaient alors du volume, du mouvement, des froissements, un jeu de transparence et de superpositions, des éléments que j’utilise aujourd’hui dans mes recherches d’installations. C’est maintenant une œuvre polymorphe. En fonction du lieu où je l’installe, elle prendra une nouvelle forme.

MP-red avant & après montage, pointe sèche sur tissus, 290x300cm, 2018 © Léa Rivera Hadjes

Sur quoi travailles-tu en ce moment ?

Obsédée par la migration pendulaire, je travaille sur une série qui s’appelle Voyage-Voyage. Elle mêle alugraphies, pointes sèches, installations, vidéos et aussi un projet d’édition avec l’artiste Paul Moragues, en vue d’un duo show que nous aimerions réaliser en 2020. Avec le confinement et le covid-19, on ne sait pas trop ce que nous réserve encore cette année. Il y a beaucoup de choses à repenser. Ce qui est certain c’est que ça donne envie de s’évader, donc on continue de travailler sur le projet et on verra où Voyage-Voyage nous mènera.

OTR carborundum, 20x30cm, 2019  © Léa Rivera Hadjes

Est-ce qu’il y a une autre technique avec laquelle tu voudrais expérimenter ?

Quelques jours avant le confinement, je me suis lancée dans la soudure ! J’avais envie de pouvoir créer mes propres structures en métal pour mes installations. Jusque-là, je faisais de la récupération de cadres métalliques ou de divers objets – ce que je vais continuer à faire – mais il m’est apparu assez logique d’en construire aussi moi-même, sur mesure. J’ai la chance de travailler dans un atelier inspirant, entourée de plein d’artistes talentueux qui travaillent différents médiums. J’ai donc demandé conseil à mon amie artiste Camille Benarab-Lopez, qui m’a fait une mini formation soudure. J’ai pu ensuite réaliser mes toutes premières structures, que j’ai appelé “mobilier urbain”, les premières d’une future série.

Mobilier urbain, 2020 © Léa Rivera Hadjes

Selon toi, qu’est-ce qu’être artiste en 2020 ?

C’est difficile de vivre de notre travail en 2020. La condition des artistes-auteurs est déplorable, c’est affolant. Et au vu de la crise actuelle, c’est encore pire ! Il est encore plus bon de se tourner vers l’entraide, l’échange, le partage ; d’utiliser les réseaux sociaux de manière positive et surtout de continuer de créer tant qu’on le peut avec les moyens du bord – ne pas arrêter notre train en marche.

Quels sont tes projets d’avenir ?

Je travaille pour la seconde fois avec une amie danseuse et chorégraphe, France Paillard, et une amie couturière, Alison Liebus, sur un projet en rapport avec… la migration pendulaire ! Encore elle ! Il s’agit d’une performance dansée, dont je réaliserai la scénographie. Avec mes recherches plastiques sur le mouvement, je suis poussée par cette envie de se faire rencontrer l’art et la danse. J’ai donc aussi comme projet futur, une association avec une autre superbe danseuse et chorégraphe : Natacha Pierart.

Un ou deux artistes à nous recommander pour étendre nos horizons ?

La sublime photographe : Louise Mutrel.

Et mon acolyte de Voyage-Voyage, un superbe plasticien : Paul Moragues.

Plus d’informations sur l’Instagram et le site de l’artiste.

Propos recueillis par Coralie Halgand

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