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Anna Karénine au Théâtre de la Contrescarpe : les « montagnes russes »

Laura Gervois 9 février 2019
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© Fabienne Rappeneau  

Transposer un classique de la littérature russe en pièce de théâtre est un projet ambitieux. C’est pourtant le pari que s’est lancé Laetitia Gonzalbes, en adaptant au théâtre Anna Karénine de Léon Tolstoï, une œuvre complexe de plus de huit cents pages. Pari réussi ?

Le roman de Tolstoï transposé sur scène

Publié par Léon Tolstoï en 1877, Anna Karénine est un chef-d’œuvre  de la littérature russe et, à plus grande échelle, de la littérature européenne. Tout comme dans le roman, la comédie dramatique se déroule en Russie, dans les années 1870. Anna Karénine (Lise Laffont) est mariée à Monsieur Karénine (David Fisher), homme de haut rang. Il se veut intègre, mais est aveuglé par la morale et le maintien de sa réputation. Délaissée et incomprise, Anna ne tardera pas à entreprendre une liaison . Liaison qui détruira son mariage et sa vie entière. Si la pièce, qui se joue en ce moment au Théâtre de la Contrescarpe, est différente du roman en bien des points, elle en conserve pourtant l’essence.




Une réadaptation libre et intelligente

Gonzalbes a en effet effectué quelques changements. D’abord, l’amant d’Anna n’est pas le comte Vronski. En fait, l’amant d’Anna n’est pas un amant tout court, mais une amante. Celle-ci répond au doux nom de Varinka (Maroussia Henrich). Aussi séduisante que libre, cette femme n’a que faire des convenances. Seulement, tout comme Anna, elle ne sera pas épargnée par l’intensité et le danger de leur relation.

Puis, la metteuse en scène a choisi d’emprunter des extraits aux œuvres de Guy de Maupassant (auteur adulé par Tolstoï) et des poèmes à Jean Fournée. Choix approuvé, puisque la pièce n’en ressort que plus profonde et poétique.

Une intrigue rythmée par un personnage étonnant

Dès le début, le spectateur est surpris, car la pièce s’ouvre sur un personnage mystérieux. Celui-ci, debout dans un coin, entame un discours sur les dangers de la passion. Il s’agit là de « l’homme sans nom » (Samuel Debure). Toujours habillé de noir, son visage reste masqué tout du long. D’ailleurs, il semble constamment s’exprimer de manière étrange et solennelle.

Mais qui est vraiment cet homme ? Est-ce un narrateur omniscient ou une allégorie de la Mort ? Est-ce Tolstoï  lui-même ou Lévine ? Ou bien est-ce tout cela à la fois ? Quoi qu’il en soit, c’est lui qui rythme l’intrigue. « L’homme sans nom » est à la fois la particularité de cette adaptation et l’âme de l’œuvre de Tolstoï.

© Fabienne Rappeneau

Une mise en scène originale et innovante 

Toute l’atmosphère du roman est retranscrite sur scène, aussi grâce au décor : une méridienne baroque, une table et des chaises en plexiglas, etc. Laetitia Gonzalbes explique ce choix : « La méridienne évoque la bourgeoisie, les plaisirs, les échanges. Les éléments en plexiglas, la rudesse et froideur russe ».

Il y a la musique et des danses transcendantes, des plafonniers néon qui changent sans cesse de couleur. D’ailleurs, ceux-ci forment des croix, tel un signe de mauvais augure qui planerait au-dessus des protagonistes. Enfin, la compagnie Kabuki se démarque grâce à son jeu remarquable, son ton juste, ou encore sa manière d’occuper la scène.

Une histoire intemporelle…

L’histoire d’Anna Karénine n’a ni âge ni époque, peu importe l’adaptation. Celle-ci dépeint l’évolution de deux relations malsaines. La première est l’union sacrée entre un homme et une femme, une relation inégale et étouffante. La seconde est une liaison, passionnée mais interdite. Les deux – Anna en est le dénominateur commun – se détériorent à un moment donné.

C’est donc une histoire qui traite d’une femme tiraillée entre morale et liberté, mais également celle d’un homme trahi et seul face à son désarroi. La réadaptation de Gonzalbes montre parfaitement comment la passion peut se transformer en souffrance, puis en folie, et comment la folie peut mener à la mort.

© Fabienne Rappeneau

… et moderne

Cependant, avec cette liaison homosexuelle, la pièce de théâtre ne traite pas d’un adultère commun pour l’époque. Cette relation prend alors encore plus de sens. La souffrance mise en scène n’en est que d’autant plus grande. En effet, au-delà, se cache la volonté de mettre en lumière un sujet malheureusement toujours problématique dans notre société actuelle : « L’objectif est toujours de parler à toutes les générations et de traiter des sujets de fond », justifie la metteuse en scène.

«  Les montagnes russes  »

Ainsi, même si cette pièce semble située à une époque définie (au XIXe siècle) et à un endroit précis (la Russie en plein Empire), elle nous présente un sujet à la fois intemporel et moderne. Le spectateur en ressort plongé dans une réflexion sur sa vie personnelle. Et nous, si nous avons été si bouleversés, c’est bien parce que la pièce nous a fait voyager d’une émotion à une autre : le désir, la peur, la colère, les larmes… Ce n’est pas pour rien que Laetitia Gonzalbes surnomme son œuvre « les montagnes russes ».

Laura Gervois

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