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“Beatrice di Tenda” : une femme sacrifiée à l’Opéra Bastille

Hélène Kuttner 11 février 2024
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©Franck-Ferville-OnP

Mis en scène par l’Américain Peter Sellars, cet opéra de Bellini, rarement monté, raconte la tragédie d’une femme puissante, accusée par son mari d’adultère et de de trahison au 15 siècle. Inspirée d’un fait réel, l’oeuvre déploie les trésors vocaux du bel canto sur les affres psychiques, politiques et sexistes de la vengeance masculine portés ici avec magnificence par un trio d’artistes puissants : Tamara Wilson dans le rôle-titre, entourée de Quinn Kelsey et Pene Pati.

Femme infidèle !

©Franck-Ferville-OnP

L’intrigue est celle d’une romance qui se termine très mal, secouée par un pouvoir politique autoritaire qui la fera s’achever dans le sang. Beatrice di Tenda est une femme de pouvoir qui a su administrer seule ses domaines de Lombardie et diriger ses affaires militaires. A la mort de son mari, elle épouse Filippo Visconti qui peut ainsi, avec sa famille, continuer à régner sur Milan et son état. Femme riche, intelligente, sans enfant, et douée d’un redoutable sens politique, elle suscite aussi, comme toute femme de pouvoir, désirs et jalousie. Après six ans de mariage, Filippo, devenu un autocrate paranoïaque, décide de la condamner à mort sous un prétexte d’adultère fallacieux pour se maintenir seul au pouvoir. Bellini écrit son opéra quelques années avant de mourir à trente trois ans. Mais il rencontre à sa création à Venise en 1833 un échec retentissant, provoquant une rupture définitive avec son librettiste Romani. Saluons donc la ténacité du metteur en scène Peter Sellars, qui depuis 25 ans souhaite monter cette oeuvre qui revendique l’idée de justice dans un monde gangréné par les massacres et les tortures.

Guerre de sexe et de pouvoir

©Franck-Ferville-OnP

Dans un décor impressionnant constitué d’un palais aux murs en acier vert, incrustés de feuilles et de miroirs, de petites trouées secrètes et d’une promenade à la géométrie contrôlée par des caméras de surveillance, le peuple, constitué par de nombreux chœurs masculins pour le roi ou féminins pour Béatrice, interroge son souverain. La mise en scène de Peter Sellars démontre une nouvelle fois la clarté d’un point de vue, celui d’un monde, le nôtre, aseptisé par la violence sourde, où les preuves sont envoyées par des images dérobées sur une tablette numérique, où des sympathisants aux cheveux longs sont munis de blousons noirs et de mitraillettes, où les interstices dévoilent parfois des secrets verrouillés. D’ailleurs, les chœurs, admirablement dirigés par Ching-Lien Wu, surgissent de tous côtés de l’immense salle de l’Opéra Bastille. Ils encadrent, conseillent, questionnent Filippo, auquel le baryton hawaïen Quinn Kelsey prête sa stature imposante et sa voix chaude, dont les nuances et les légatos oscillent subtilement entre l’autorité et la tolérance. Et le personnage, au début, possède les attributs d’un monarque prudent et éclairé, quoi que faible, manipulé par une maîtresse du mensonge, Agnese, qu’incarne avec une maestria toute perverse et féline la mezzo Theresa Kronthaler.

La solitude de Beatrice

©Franck-Ferville-OnP

Dans une robe en voile vert d’eau, la rousse Beatrice va s’escrimer, tout au long de ces deux actes, à clamer son innocence et son honnêteté, chantant même le pardon et la miséricorde pour Agnese, sa rivale, et Orombello, le jeune partisan amoureux d’elle et condamné, comme elle, à mort. Dans ce chemin de croix magnifié par les envolées lyriques de la partition, qui bien qu’inférieure à Norma, mérite d’être découverte, la soprano américaine Tamara Wilson est impressionnante, déployant un timbre à l’équilibre raisonné des médiums aux aigus, modulant ses lignes mélodiques, dans une théâtralité dramatique à l’engagement déchirant. A ses côtés, l’Orombello du ténor Pene Pati, sacrifié lui aussi, est d’une formidable justesse, sobre et sans faille. Son jeune frère Amitai Pati, qui campe Anichino, l’ami d’Orombello, assure le rôle avec précision et élégance. Tous sont investis charnellement dans cette histoire criante d’injustice, que le chef Mark Wigglesworth dirige avec un équilibre certain, ne couvrant pas les voix, mais accusant parfois un tempo un peu trop lent, surtout dans la seconde partie. L’Orchestre de l’Opéra de Paris paraît une fois encore irréprochable et d’une belle précision, déclenchant dans le public une chaleureuse ovation. 

Hélène Kuttner 




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