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Magda Danysz : dialogue autour de la contemporanéité

Dorothée Saillard 13 février 2019
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Implantée à Paris, Londres et Shanghai, Magda Danysz repousse toutes les frontières en faisant dialoguer Felipe Pantone, Vhils, Chen Yingjie ou encore David Moreno dans sa galerie éponyme où se côtoient art urbain, art contemporain et art numérique. Son mot d’ordre : la découverte.

Depuis les débuts de votre galerie, de quelle manière ont évolué vos motivations premières et votre approche de l’art ?

Une galerie est toujours amenée à évoluer avec ses artistes. On grandit avec eux, ceux qui étaient émergents deviennent connus. Néanmoins, je vois que certaines convictions et principes de base sont toujours là. Finalement, les partis pris de départ sont respectés, comme la place laissée à la découverte. J’essaye aussi de présenter des expositions en contraste sur la saison, de ne pas programmer des artistes similaires.

Très tôt, j’ai défendu la vidéo, qui fera d’ailleurs l’objet d’une prochaine exposition en avril. On organise des thématiques exclusivement vidéo depuis longtemps et l’exposition annuelle sur la vidéo a trouvé son rythme. Quant à l’art urbain, il a toujours représenté à peu près 30 % du programme. Étonnamment, cet équilibre s’est dessiné naturellement. Tout cela s’est établi dans la durée et s’inscrit un peu comme une signature.

Vhils, courtesy galerie Danysz

Art contemporain, notamment chinois, art urbain, art numérique… tout cela pourrait évoquer en cohérence un travelling ou des histoires de villes multiples saturées d’images. Pouvez-vous expliquer votre choix de faire dialoguer ces univers ?  

Quand on commence ce métier, l’environnement est difficile. Quand j’étais jeune, on me demandait quelle était ma ligne. Depuis, je déteste ce terme. Ne pas être dans une case reste pour moi un des principes fondateurs, l’idée étant de refléter la création contemporaine. On a la chance de se trouver aux premières loges d’un opéra incroyable, où il y a de la place pour tout, pour moi qui aime la découverte, comme pour celui qui a des goûts plus établis.

Aimer la découverte effectivement, c’est tenter de rendre compte d’une partie de notre contemporanéité. Je n’ai pas la prétention de tout couvrir, mais prenez l’art numérique, il est le reflet de notre société, le croisement avec l’esthétique du jeu vidéo, autrement dit un champ d’expérimentation qui inspire beaucoup d’artistes. J’en tire instinctivement des fils en y mêlant tout ce qui est de l’ordre de l’urbain, la photographie ou la création contemporaine chinoise.

Je me suis toujours défendue d’être dans une case, car je tiens à ce que cela reste très instinctif. Pourtant, quelques critiques d’art qui suivent la galerie depuis plus de 20 ans y voient une logique évidente. Pour eux, je traite de l’urbanité, du quotidien, du réseau, qu’il soit urbain ou numérique, de l’architecture aussi.

Personnellement, j’aime parler de contemporanéité tout simplement. Cela me passionne d’être vraiment en prise avec ce que les artistes expriment sur notre société et que notre société, elle-même, ne sait pas encore exprimer.

David Moreno, Floating Favelas, courtesy galerie Danysz

Et vous, quel est votre rapport à la ville quand vous allez de l’une à l’autre ? Quelles réflexions en retirez-vous pour votre travail ?

Dans les années 90, j’ai travaillé avec un collectif organisé de photographes en Italie, Linea di Confine, qui traite justement des no man’s lands, ce qu’il reste d’anciennes usines, d’architectures perdues au milieu de nulle part, ou de paysages mais qui sont très architecturés.

Donc je me suis rapidement rendu compte que l’urbanité n’est pas nécessairement la ville.

L’environnement alors ?

L’environnement, oui, le contexte, qui est en grande évolution. Ces changements qui ne font que s’accélérer sont égaux à la somme des 19 autres siècles. Il est passionnant de voir comment les artistes traduisent ces accélérations et comment nous, êtres humains, spectateurs les regardant, nous percevons tout cela, consciemment ou inconsciemment.

Souvent, c’est le mythe de Prométhée : les artistes ont la flamme et voient des choses que nous ressentons encore à la surface. Donc, je parlerais de déplacement et de mouvement plus que de ville. Je suis toujours alerte et jamais dans la même ville. Tout ça alimente en effet cette réflexion parce que je me nourris de la richesse des artistes.

L’art urbain, c’est un peu revenir à l’agora, c’est un pouvoir qui représente une liberté car l’artiste s’approprie un mur avec son art…

Surtout, ça a changé radicalement notre rapport à l’art, même si on a pu le voir ailleurs dans l’histoire. On ne parle plus d’intermédiaire, d’un lieu, que ce soit la galerie, le centre d’art ou le musée, ni d’un public qui viendrait de façon active par choix avec un billet.

Effectivement, le terme d’agora est tout à fait juste, car l’artiste prend la parole, pour le meilleur ou pour le pire. Si personne n’aime, il peut y avoir des effets de censure. C’est arrivé à Blu à Los Angeles. Il accusait la Guerre du Golfe d’être une guerre pour l’argent. Son mur a été repeint, d’où le scandale, mais ce pouvoir de prendre la parole est extrêmement intéressant : il revient à dire « on existe en dehors des réseaux ».

Idem pour l’art numérique, puisque cette forme d’art peut aussi se construire dans d’autres domaines. Ou bien la danse qui est également devenue une scène pour l’artiste, bien avant que celle-ci ne rentre dans les galeries. Les artistes trouvent ainsi des débouchés dans le spectacle vivant pour partager leurs œuvres et challenger. C’est intéressant car, au fond, le white cube propose un mode de scénographie parmi d’autres possibilités.

Vous avez toujours eu à cœur de faire converser l’art urbain avec les autres médias et mouvements que vous représentez. À votre avis, de quelle manière l’art urbain insuffle-t-il du nouveau à l’art contemporain en général ?

C’est encore difficile à dire, ça converse mais parfois le dialogue n’est pas évident, tout ne passe pas. Les deux mondes s’écoutent. Cela dit, comme tout dialogue, il est extrêmement riche. Par exemple, quand on voit aujourd’hui un Felipe Pantone être en totale résonance avec les tenants de l’art optique, cela renouvelle les formes.

On entend souvent que tout a été vu ou fait, mais je pense au contraire que c’est dans ces dialogues-là que de nouvelles générations arrivent et inventent, créent et parlent d’aujourd’hui. Il fallait bien des artistes pour prendre la parole sur ce que représente Internet, c’est important.

Felipe Pantone, courtesy galerie Danysz

Et que diriez-vous de vos rapports aux artistes, bien que chaque rencontre soit unique ?

Ce qui est commun, c’est que je suis beaucoup les artistes en amont. Quand, un jour, on s’assied dans une pièce et qu’on se dit « On va faire un bout de chemin ensemble », on tient un fil, et c’est ce qui est beau. Ces rencontres deviennent ensuite des aventures – qui ne durent pas forcément, d’ailleurs.

Dans nos métiers, il y a ces histoires très contraignantes d’exclusivité, d’histoire à vie, mais ce n’est pas un contrat de mariage ! On construit un projet comme un magnifique film, un peu plus comme dans l’industrie du cinéma. On en fera deux ou trois ensemble, peut-être dix, puis un autre producteur arrivera. C’est justement ce qui rend belles ces aventures.

Vous êtes très implantée en Asie qui explose artistiquement. Vous avez des relations importantes avec les États-Unis : quid par exemple du développement d’un pont via Los Angeles ?

Je ne peux pas généraliser la question et mon point de vue sera très personnel. En effet, je passe beaucoup de temps aux États-Unis et en Asie et avant d’ouvrir à Shanghai je voulais ouvrir à Los Angeles. Donc, pour moi, le lien est en effet naturel, mais lié à mon histoire. Cette question fait écho à la globalisation de l’art.

Active à la fois aux États-Unis, en Angleterre et en Asie, je fais effectivement en sorte de faire voyager une exposition pour que les choses prennent tout leur sens. On emmène par exemple Futura à Hong Kong, il se passe plein de choses. Pour l’axe Los Angeles-Asie, cela fait des coups de fil à des heures indues, on n’en dort plus, mais c’est la seule contrainte !

Comment voyez-vous évoluer le modèle de la galerie dans l’écosystème des foires et des galeries ?

Ce modèle évolue, explose même ! Il faut être très flexible, être partout et très réactif. Je pense qu’on va être amenés à être des opérateurs culturels. Pas seulement des marchands, voire des distributeurs. En réalité, notre compétence est de trouver l’artiste, le propos, de l’aider à accoucher du projet. Nous intervenons dans la production, la mise en scène, le lien avec le public. Je suis pour assumer notre rôle d’opérateurs culturels, à échelle globale, puisqu’il n’y a plus vraiment de frontières dans nos métiers !

C’est pourquoi, avec tout un département, nous organisons et montons des expositions à la galerie pour des musées. Côté édition, nous sortons de très grosses monographies d’artistes. Je pense qu’on doit reprendre le dessus et affirmer ce rôle.

Exposition David Moreno Dibujando Esculpturas à partir du 16 février 2019, Magda Danysz Gallery – Paris

Exposition Felipe Pantone Distance, vitesse, temps, formule du 12 janvier au 16 mars 2019, Magda Danysz Gallery – Shanghai

Propos recueillis par Dorothée Saillard


À découvrir sur Artistik Rezo :

Solo Show Swoon – Magda Danysz Gallery, d’Agathe Louis
Exposition de James McNabb – Magda Danysz Gallery, d’Artistik Rezo

 

 

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